“ If it makes you happy ”

Jeudi 17 juin

Dernier départ de Slovénie en direction de la frontière Autrichienne, pour rejoindre le tracé de la Via Alpina dont je m’étais légèrement décalé pour éviter un col enneigé. Une journée de reprise à rallonge qui commence par quelques détours pénibles, me retrouvant bloquée à deux reprises par des clôtures d’alpages en barbelés sur des sentiers d’altitude que j’avais prévu d’emprunter. 

Soit… si l’Autriche rechigne à m’ouvrir sa porte, je passerai par la fenêtre Italienne ! La zone étant frontalière entre les trois pays, je récupère un peu plus bas une longue piste cyclable qui me fait entrer un peu plus au sud.

Comme je regrette mon Surly en voyant tous ces cyclistes me dépasser en toute légèreté, moi me trainant avec mon gros sac à dos sous un soleil de plomb!
Cramée, dans tous les sens du terme, j’arriverai finalement en fin de journée à la frontière Autrichienne à l’entrée du petit village de Thörl, après 35kms de marche, et juste à temps pour me mettre à l’abri avant que la pluie ne s’invite…

Le lendemain, le redémarrage est fébrile. Mon corps à peine reposé, mes muscles endoloris et mes mollets rouges. C’est pourtant une grimpette de 1000 mètres raide à souhait qui m’attend pour atteindre mes premiers vrais paysages d’altitude, au-delà de 1500 mètres.  Heureusement pour moi, je profite un peu de la fraicheur ombragée des bois avant d’accéder aux premiers alpages. 

Certains passages sont extrêmement raides, me donnant l’impression que les autrichiens ne s’embarrassent pas des sentiers en lacets pour tracer plutôt des raccourcis au droit dans la forêt, m’obligeant parfois à me sécuriser avec les mains tant la pente est abrupte.
Je sens les fibres musculaires de mes mollets étirées à leur maximum, mes bâtons fermement ancrés dans le sol pour m’aider à propulser mes pas, mon cœur résonnant jusque dans mes tempes.
Je prends de la hauteur, mais pour l’instant au sens propre uniquement… ! 

Par ici, les sentiers semblent très bien balisés. Heureusement, car à défaut, il ne sont pas toujours bien dessinés, et surtout ne semblent pas du tout entretenus.
A l’inverse de certaines jolies portions forestières, d’autres se transforment en véritable parcours du combattant. Jonchées de nombreux sapins morts en travers du chemin, il faut redoubler d’énergie pour escalader les troncs, les contourner, se contorsionner ou ramper pour passer dessous sans y accrocher son sac… 
J’y laisserai quelques gouttes de sueur additionnelles, et une belle entaille sous une cuisse en me ratant sur le passage de plusieurs arbres enchevêtrés… 

Malgré tout, l’arrivée sur les alpages est un vrai bonheur. L’air est plus frais et la vue s’ouvre sur un panorama montagnard comme je les aime. Par endroit, le sol encore jauni et brûlé traduit la présence récente de neige, les premiers brins d’herbe commençant à peine à percer. 
J’avance littéralement sur la frontière Italo-Autrichienne, suivant les bornes en pierre qui la matérialise. Ici aussi, les traces de la seconde guerre mondiale sont bien visibles ; bunkers, postes d’observation, mémoriaux…

Une nouvelle étape m’amène tardivement jusqu’à un alpage dont les quelques maisons semblent toutes fermées. Seulement deux tentes sont installées sur un coin d’herbe plat. Deux français ! Les premiers rencontrés depuis mon départ du pays ! 
François, originaire du Vercors, est également parti pour une traversée intégrale des Alpes. Bernard est venu le rejoindre de Genève pour deux semaines de traversée à ses côtés. Je m’installe avec eux et retrouve le plaisir de bavarder dans ma langue natale…

Au petit matin, réveillée par un rayon de lumière diffus sur la toile de ma tente, je savoure le premier lever de soleil en haute montage depuis mon départ, qui me régale par sa beauté et l’ambiance sereine qui s’en dégage. Ces instants qui effacent toute la douleur endurée pour arriver jusque-là !

Moi et mes compatriotes passerons les deux jours suivants à marcher ensemble dans la joie et la bonne humeur, accompagnés par vaches et marmottes sur notre passage. 

Nouvelle étape, nouvel alpage. « Egger Alm », petit hameau typique avec ses jolis chalets en pierres et en bois, ses locaux venus pour le week-end, quelques sportifs et cyclistes de passage.
Le tout ambiancé par LE restaurant/bar de Rudi, propriétaire des lieux, qui semble être le point de passage bucolique du coin. 

Un groupe de VTTistes Autrichiens, déjà attablés avant notre arrivée, enchainent les pintes de bières, chacune d’entre elle entrecoupée par un shot de digestif…
Amusés, nous les surveillons d’un œil tout en savourant nos premiers « Karntner Nudelns », sortes de gros ravioles garnis qui pourraient éradiquer la faim dans le monde à eux seuls… 
Interloqués par le nombre de tournées accumulées par nos voisins, nous trainons à table, curieux de voir dans quel état ils vont reprendre la route, eux qui n’ont pas commandé de repas pour éponger un minimum… A notre grande surprise, ils remonteront quelques heures plus tard sur leurs vélos sans sourciller et sans un écart, après un dernier petit digestif offert par le patron… Respect à l’entrainement local!

La bonne humeur règne, le diner partagé avec les conversations d’une autre randonneuse et de quelques locaux. Nous aussi aurons droit à notre tournée de liqueur de myrtille offerte par Rudi, qui semble mettre un point d’honneur à trinquer avec chaque table de clients 🙂

Autour de nous les vaches paissent en liberté, entretenant les environs, venant boire aux points d’eau du hameau et se frottant sur les murs des maisons. Une petite étable fait la traite sur place et fabrique ses fromages que nous ne manquerons pas de tester! 

Rudi nous ayant permis de planter nos tentes à côté de son auberge, vient la question au moment de se coucher du « comment ne pas se faire écraser par l’une d’entre elles pendant la nuit »…
Hilare, le voisin nous apporte quelques piquets et un rouleau de clôture pour nous assurer un sommeil plus serein. Ironie du sort, c’est nous qui nous retrouvons parqués pour la nuit !
Blottie dans mon duvet, je m’endors au son des sonnailles, avec la vision du gros nez d’une vache à trois mètres de ma tente en jetant un œil par l’entrebâillement de ma fenêtre.

Après une étape matinale démarrée à 5h pour éviter la chaleur, François et Bernard poursuivent leur route pour rejoindre un sommet côté italien, tandis que je m’accorde une pause à Nassfeld, station de ski autrichienne. Mon énergie est au plus bas et j’ai grand besoin d’une journée off pour réfléchir à la suite de mon itinéraire. 

Les prochaines étapes de la Via Alpina passent par les crêtes des Alpes Carniques à une altitude élevée, et je suis de nouveau confrontée au risque de passages enneigés sur lesquels je ne veux pas m’engager…. Doute confirmé quelques jours plus tard par les garçons qui m’enverront leurs photos crampons aux pieds ! 

Un peu frustrée de ne pas pouvoir suivre mon itinéraire planifié. Un peu désabusée de devoir à nouveau trouver un plan B sans avoir de cartes et avec peu d’infos à disposition. Et un peu dubitative sur mon corps qui me lance quelques alertes. 

La contrainte physique de la marche avec un sac à dos chargé pour l’autonomie est forte, bien plus forte qu’en voyage à vélo. Je fatigue de plus en plus vite et peine à retrouver 100% de ma forme pour avancer « facilement ».
Chaque bobo ou douleur anodins lors d’une marche ponctuelle ont des répercussions sur des jours de marche cumulés, créant des effets rebonds en cascade ; un genou qui tire et ce sont les ligaments de la jambe opposée qui trinquent. Une ampoule sous le talon qui modifie les appuis et c’est l’autre pied qui compense…
Mon pied gauche s’inflamme de plus en plus, provoquant des douleurs du dessus des orteils en passant par la voute plantaire jusqu’au talon d’Achille, et me lançant des décharges électriques en fin de journée qui viennent me titiller jusque dans mon duvet alors que l’heure du repos salvateur approche. 

Alors je réapprends le lâcher prise, et fais évoluer mes plans initiaux pour en créer de nouveaux au jour le jour. En fonction de la météo. De la forme physique. Du moral. Des rencontres. Des infos glanées sur ma route. Et cela fonctionne plutôt bien …! 
Les bonnes surprises, les bonnes personnes et les petites synchronicités quotidiennes s’enchainent, preuves que mon instinct me guide sur le bon chemin.
Je m’écoute plus et mieux. 

A commencer par ma rencontre avec Annette, une Allemande qui parle un excellent français et séjourne également dans la maison d’hôtes où j’ai pris une journée de repos. Nous partageons quelques bons moments ensemble, durant lesquels elle m’accompagne pour trouver les cartes dont j’ai besoin, puis pour une après-midi chill au bord d’un lac et enfin pour un bon diner dans un restaurant typique. 

Nos hôtes ont également une petite ferme dans la continuité de leur jolie maison, derrière un jardin potager exemplaire dans lequel je vais flâner en compagnie de leurs chiens. Une belle découverte et un vrai repos qui tombent à pic !

Finalement, je décide de faire un saut de cent kilomètres en train pour alléger mon rythme sur les jours à venir et me rendre directement dans le Nord des Dolomites, en zappant la deuxième partie des Alpes Carniques encore partiellement enneigées. 
J’ai à cœur de passer du temps dans cette région montagnarde mythique située dans le Sud Tyrol, et je ne vais pas être déçue!

Les Dolomites sont un bijou, souvent surnommées à juste titre le « joyau des Alpes ». Près de 142 000 hectares sur lesquels sont répartis 18 sommets de plus de 3000 mètres, véritables murailles verticales au sein de massifs qui regorgent de spécificités géologiques toutes plus belles les unes que les autres. 

Extrêmement touristique en été, j’ai la chance d’y être encore en demi saison, ce qui me laisse le temps d’explorer plutôt sereinement les endroits les plus prisés en début de journée. Je profite du réseau organisé de navettes au sein du parc pour randonner « en étoile » à la journée, laissant ma tente plantée en camping.
Quel bonheur de retrouver la légèreté de crapahuter avec à peine quelques kilos sur le dos ! Je sens mon corps regagner toutes ses forces jour après jour, avec la presque sensation de pouvoir parcourir les sentiers en mode trail… 

Je n’aurai pas assez de superlatifs pour décrire les merveilles de ces lieux, qui méritent haut la main leur place au Patrimoine Mondial de l’Unesco. 
Ici, tous les panoramas sont scéniques. Chaque massif a sa propre singularité. Leurs envergures imposantes s’étirent, ciselées, bien au-delà des cimes des sapins, laissant place à des ambiances minérales incroyables. L’eau y est aussi omniprésente, entre lacs, rivières et cascades. Et puis la neige, toujours là également sur certains itinéraires, notamment sur les faces exposées au Nord. 

Le Lago Di Braies m’offre ses superbes lumières matinales, et sa vision à 360° tout simplement à couper le souffle. Deux truites longent le bord de la rive à mes côtés avant de rejoindre d’un coup de nageoire les eaux bleutées plus profondes. Elles font partie des quelques espèces de poissons protégées par ici.

Un peu plus loin, un champ de cairns tranche sur le bleu-vert du lac, petites pyramides de pierres initialement utilisées en montagne pour marquer les sentiers non balisés.  

Le lendemain, c’est le sommet du Mont Specie à 2307m qui m’en met plein la vue, avec sa vue plongeante sur tous les massifs alentours, incluant les Tre Cime, emblème du Parc. 

En fin de journée ou en soirée, les orages réguliers offrent eux des festivals d’éclairs et de coups de tonnerres qui roulent le long des montagnes alentour. Une ambiance façon « home cinéma », leur résonnance allant parfois jusqu’à faire vibrer le sol autour de moi. 
Heureusement, au petit matin, la lumière revient, et les premiers rayons du soleil m’accompagnent dans chacune de mes marches, perçant à travers les sapins et faisant s’évaporer les brumes.  

Après quelques jours passés au nord du parc, je fixe mon deuxième QG à Cortina d’Ampezzo, ville idéale pour sillonner les alentours.

J’y arrive en début de week-end, durant lequel se déroule un ultra-trail avec plus de 3000 coureurs attendus. L’ambiance dans la ville est électrique ! A 23h le soir, bien au chaud et à l’abri, les muscles au repos, c’est avec une pensée compatissante que j’entends résonner le départ pour la plus grande boucle… de 120kms. 

Chaque journée qui passe est une succession de cartes postales au travers des différentes randonnées que l’on me conseille…  

Et puis les bonnes surprises continuent, avec François sur qui je retombe par surprise dans le même camping que moi une fin d’après-midi ! Sa traversée Carnique avec Bernard est terminée, et il s’accorde un peu de repos à Cortina en attendant l’arrivée de son prochain partenaire de marche.

Le lendemain, c’est Benjamin, un Slovène rencontré quelques temps plus tôt à Tolmin, qui me rejoint pour quelques jours d’exploration dans la région. Nous enchainons les randonnées dans des décors de plus en minéraux à mesure que nous montons en altitude, jonglant avec la météo orageuse.

Un bivouac au pied des Cinque Torri nous offrira un superbe coucher de soleil rougeoyant derrière les montagnes, suivi d’une longue série d’éclairs lumineux tranchant au travers des nuages, mais cette fois sans le son, visuel muet d’un orage dans les vallées lointaines.

Vendredi 2 juillet
Revigorée après ces dix jours de randonnées « légères » dans de tels paysages, tous mes voyants sont au vert, prête à reprendre ma route pour ce deuxième mois de marche 🙂

L’Aventure peut continuer !

12 commentaires sur « “ If it makes you happy ” »

  1. Hello ! Je saute sur tes récits dès que l’alerte tombe sur ma boîte mail, ravie de te suivre, je suis admirative de ton courage 🙂🙃😉
    Tu as bonne mine sur la dernière photo, ça fait plaisir ! Bonne chance pour les prochains jours !
    Bises

  2. très interressé par ce fabuleux voyage .Je ne pense pas que je serai capable de faire la méme chose.Encore bravo pour les récits et les superbes photos.Bonne continuation et vivement la suite du voyage.Bises

  3. Merci pour toutes ces photos qui illustrent ton récit, cependant, un bonus bien agréable cette dernière qui nous permet de retrouver ton sourire. Belles prochaines étapes!

  4. Des paysages a couper le souffle..que c est beau….cette dernière photo avec ce beau sourire t evites de me voir débarquer et te ramener à la maison 🤣bonne route baroudeuse….et continues a nous faire rêver..on ne souffre pas à te lire👍😍

  5. C’est vrai que ta dernière photo nous rassure un peu sur ton état physique et nous laisse penser que tu profites pleinement de tous ces magnifiques paysages que tu traverses !

  6. Coucou ma belle. Je compatie à tes douleurs et souffre avec toi, assis confortablement devant mon ordinateur. Heureusement la dernière photo me rassure sur ton état. Toujours de belles photos qui nous immerge dans ton périple. Profite, profite, profite… et prends soin de toi. Bises

  7. que tes photos sont belles ma Maud ,et comme tous je suis ravie de voir cette photo avec ton grand sourire .Gros bisous

  8. Toujours autant de plaisir à suivre tes aventures 🤟. A présent tu sais pourquoi je fais du VTT 😂😂😂.
    Bon courage pour la suite, prends soin de toi et de ta bonne humeur. 😘

  9. Bravo Maud pour ton récit, il est tellement clair et précis que j’ai l’impression de participer au voyage et d’en ressentir les douleurs.. Bon courage pour la suite Bises Richard

    Le ven. 2 juil. 2021 à 21:11, SOUS LES ETOILES DES ALPES a écrit :

    > Maud SCHEID posted:  » Jeudi 17 juin Dernier départ de Slovénie en > direction de la frontière Autrichienne, pour rejoindre le tracé de la Via > Alpina dont je m’étais légèrement décalé pour éviter un col enneigé. Une > journée de reprise à rallonge qui commence par quelques déto » >

  10. Quelle évasion de te lire. Merci pour ces bouffées d’air pur et cette beauté.
    Continue à nous émerveiller et à t’adapter aux circonstances. Bonne continuation pour ce 2ème mois de marche. Bises

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