« It’s a kind of magic »

SAMEDI 5 JUIN

Tout juste une semaine que j’ai posé mes premiers pas sur la Via Alpina. Après un peu de repos dans la petite ville d’Idrija, me voilà repartie en direction du Parc National du Triglav. 

Démarrage matinal par un petit sentier raide et étroit à travers les maisons perchées en hauteur de la ville, pour rejoindre l’entrée de la forêt.

Mes pas se font feutrés sur le sol moelleux, mélange de terre et d’humus. La fraîcheur du sous-bois est agréable, et contraste rapidement avec ma température corporelle qui monte en flèche. 
Les arbres par ici sont immenses et protecteurs, l’ambiance  y est particulièrement apaisante, enveloppante.

Ma présence ne semble pas troubler la vie animale matinale qui suit son cours.

J’y entends le chant familier du coucou parmi les pépiements des nombreux autres oiseaux.

Le cri d’un chevreuil, qui se fera régulier durant les jours à venir, et qui me fait sourire toute seule en me remémorant ma première découverte nocturne. 


Et puis, pour la première fois, de petits bruits de pas qui approchent juste en contrebas, à quelques mètres de mon sentier. Cachée par un gros tronc d’arbre, ils ne m’ont ni vu ni senti. C’est un, puis deux, trois et quatre chamois qui passent tranquillement en file indienne. Une première pour moi de les admirer dans les bois, sans les voir détaler à toute vitesse comme à leur habitude. 

A l’orée de la forêt, un panorama tout en rondeur se dessine, les montagnes gris-brun du Triglav à peine visibles dans le brouillard lointain.
Dans les vallées, on fait les foins. Les tracteurs sont de sortie et les familles participent, toutes générations confondues.
Le balisage des sentiers lui, n’est toujours pas au top. Certains passages non entretenus sont tellement en herbe que sans mon téléphone, je ne remarquerais même pas leur trace !

Je profite du temps ensoleillé et de mon taux d’énergie encore honorable pour une journée de marche à rallonge, la météo prévoyant une dégradation dans les jours à venir.
Les fins d’après-midi sont souvent propices à l’observation d’une faune spécifique, comme un petit renard doré qui m’apparaît alors que je suis à la recherche de mon lieu de bivouac. Pas le temps de régler l’appareil photo qu’il a déjà filé dans les sous-bois… 

Finalement, à force de tourner sans réussir à trouver un endroit suffisamment plat pour ma tente, j’avance jusqu’au village le plus proche et demande à un vieux couple de slovènes l’autorisation de camper derrière leur jardin, le long d’une petite rivière. 


Au petit matin, j’aurai le droit en bonus au café et aux barres chocolat-caramel. Réconfort simple mais apprécié après une première nuit de fortes pluies, qui me laissent d’humeur… maussade. Toutes mes affaires sont humides, la tente est repliée encore trempée dans sa housse. Une grosse journée de marche et de nouvelles averses sont au programme, je ne préfère donc pas trainer.  

Pas assez dormi. Pas assez mangé. Pas assez d’énergie. Résultat, mon corps se traine et peine à avancer pour échapper à la pluie. Mes mains moites glissent sur mes bâtons de marche, mélange de sueur et d’humidité ambiante.
Le plafond nuageux est bas et recouvre la cime des arbres. C’est vers lui que je dois pourtant me diriger pour grimper dans la forêt et passer sur le versant de l’autre côté.
C’est pénible, mais en même temps tellement beau. La brume sur le sentier créé une ambiance presque mystique. 

Je n’ai pas réussi à joindre le refuge prévu sur ma route pour m’assurer de son ouverture, et me prépare donc à une rallonge d’une heure de marche pour accéder au village le plus proche, quand mon ange gardien se décide à m’apporter un coup de pouce. En haut du versant, je rencontre une dame venue rendre visite à ses parents, qui me propose de m’avancer sur ma route. 

Elle connaît la Slovénie comme sa poche, et est aussi heureuse de me donner ses infos que moi de les recevoir. Trente minutes confortablement assise à ses côtés sur les petites routes sinueuses menant à Zgornja Sorica m’offrent de précieux conseils, et l’esquisse de mon tracé pour la semaine à venir, encore incertain jusqu’alors. 
Son fils, grimpeur, nous confirme par téléphone que l’itinéraire d’altitude via le Triglav n’est pas encore accessible car trop enneigé. Décision prise, je contournerai donc le massif par le Sud, en empruntant un itinéraire dont j’ai déjà entendu parler plusieurs fois du fait de sa beauté ; celui de la Soča Vallée. 

A peine le temps de poser mon sac dans l’hôtel près duquel cette adorable dame m’a déposé qu’une averse se remet à tomber.

La pluie est mon point faible, et ma résistance morale face à elle ne lui arrive pas à la cheville. Je me tapis donc dans la chaleur d’une chambre transformée en campement de séchage. L’eau chaude de la douche et le lit douillet sont mes réconforts pour cette deuxième partie de journée au calme. 
Nuit réparatrice, le tintement des gouttes de pluie étant bien plus sympa à écouter sur les vitres de ma chambre que sur ma toile de tente… 

Le lendemain matin, mon premier petit déj de luxe m’est servi sur fond de musique lounge slovène.

Par la fenêtre, une petite pluie fine, et la moitié de la vallée recouverte par le brouillard. 
Ma motivation est là, face à moi, affalée sur les coussins moelleux ; « T’es sérieuse là? Tu vas vraiment nous claquer 25 bornes et 1000 mètres de dénivelés dans la forêt ?! ». Mon genou droit prend son parti. Mon petit orteil gauche et sa grosse ampoule aussi. Finalement, le compromis physico-mental est trouvé : on sort, mais on reste proche d’une petite route et, si ça se dégrade de trop, on finit en mode stop…

J’enfile mon sac à dos devant l’hôtel, au moment où un petit rayon de soleil perce à travers les nuages, comme pour me dire ; « Aller file, ça va aller! ». Je me remets en route, le bas de mon pantalon rapidement trempé par les herbes, regardant où je mets les pieds pour éviter escargots et limaces. En haut de la colline, le temps paraît se découvrir un peu, instant éphémère de plénitude. C’est si beau, si calme. 

Mon MP3 dans une oreille, j’avance d’un bon pas pour arriver en début d’après-midi à mon étape suivante, pour tenter d’éviter au maximum les averses orageuses, souvent annoncées en deuxième partie de journée.
Sur ma route, je rencontre Rodolphe, le propriétaire du refuge que j’avais tenté de contacter la veille. Le téléphone arabe montagnard à fait le job, et il sait déjà que je suis la française qui randonne sur la Via Alpina. Sincèrement rassuré de me voir ici, il l’est encore plus quand je lui précise que je redescends vers la Soča.
Il m’apprend qu’ Anne Caroline, l’Allemande rencontrée quelques jours plus tôt, a continué sur l’itinéraire d’altitude malgré ses mises en gardes, et a été transportée à l’hôpital suite à un accident plus haut. D’autres allemands ayant également voulu prendre cette option se sont retrouvés coincés dans la neige et ont dû être héliportés… 

Rodolphe me souhaite bonne route en me bénissant d’un geste de la main. Ces rencontres locales sont de précieux cadeaux, qui peuvent changer du tout au tout le cours d’une aventure, et j’ai à cœur de prendre en compte chacune de leurs informations. 

De manière générale, je suis marquée par la bienveillance des habitants, qui tiennent régulièrement à m’indiquer ma direction. Un vieux monsieur ira même jusqu’à m’accompagner pendant près d’un kilomètre avec ses savates pour me montrer le sentier où bifurquer !

En redescendant dans la vallée, je suis principalement une petite route d’asphalte. Peu agréable pour marcher, elle échauffe les pieds, ravive les ampoules et résonne dans les articulations, mais a l’avantage d’être une option sécure en cas de gros grain, des auberges se présentant régulièrement sur mon chemin.
Le temps est lourd et orageux, allégé de temps en temps par la fraicheur de petites cascades et d’une rivière dans laquelle je peux plonger mes pieds brulants. 

Et puis, de temps à autre, entre deux bouchées d’herbe, de curieux spectateurs relèvent le nez pour surveiller mon passage. 

Finalement je ne m’en sors pas si mal, et fais étape dans une petite auberge traditionnelle. Le patron, d’une grande gentillesse, me raconte l’histoire des lieux en m’offrant une coupe de glace après ma pizza rassasiante.
Cela fait plus de 100 ans que l’affaire se transmet de père en fils, depuis la création du village durant la construction du chemin de fer transalpin entre la Slovénie et l’Autriche. 

Le lendemain, ma descente se poursuit vers Tolmin. Les conditions météo sont moins pire qu’annoncées, et c’est avec joie que je marche sous un grand soleil.
Mon corps commence à se réguler, il fonctionne mieux et plus longtemps avec moins de nourriture. Mes muscles et mes genoux se renforcent progressivement, les courbatures s’estompent plus rapidement. 

Et c’est là, à travers les arbres et leurs branches feuillues que je l’aperçois pour la première fois : la rivière Soča. Superbe ligne bleue translucide qui sillonne à travers les grandes étendues vertes. Quelques parapentes sont en vol au-dessus d’elle, la vue de là-haut doit être encore plus incroyable. 

Mon itinéraire me fera remonter son cours durant les prochains jours, son tumulte en bruit de fond. Parfois à effleurer son bord, parfois un peu plus haut dans la forêt, son grondement devenant murmure.


Tracé qui me mettra également à l’épreuve face à ma phobie des ponts, en traversant nombre de passerelles en bois. De celles qui tanguent et rebondissent sous le poids de mes pas, avec leurs planches craquantes à certains endroits…

Mais cette difficulté n’est rien comparée à la beauté de la marche. Les couleurs paraissent irréelles, les contrastes avec les montagnes environnantes renforcés par le temps orageux, évoluant au fil de la journée dans une ambiance magique. 

A Kobarid, petit commune marquée par l’histoire de la première guerre mondiale, on trouve de nombreux vestiges historiques, dont un immense ossuaire italien bâti autour d’une église, recueillant les restes de plus de 7000 soldats morts durant les affrontements contre l’empire austro-hongrois. 

Aux alentours, la forêt que je parcours est traversée par des cours d’eau et des cascades dans une atmosphère enchantée. Tellement enchantée que je ne serai pas surprise d’y voir sortir un elfe pour me serrer la main!
Des parois sculptées par l’érosion de l’eau. Des rochers recouverts de mousse et parsemés de fleurs légères. Des sentiers aux racines apparentes des grands arbres qui se referment au-dessus de moi en un toit feuillu. Une fraicheur humide et un grondement continu, dont on ne sait parfois pas s’il s’agit de la rivière ou du tonnerre au loin. 

Mon passage à Bovec puis à Trenta, ainsi que l’arrivée du week-end, me fait croiser plus de monde dans ces lieux touristiques. Les bonjours ne sont plus slovènes, mais principalement allemands.
J’envie parfois les quelques personnes croisées sur mon sentier, avec leurs minis sacs à dos et l’odeur de lessive de leurs fringues propres!

Le village suivant, Kranjska Gora, est une station de ski, animée par les activités outdoor proposées aux alentours.  Il s’agit de ma dernière étape slovène avant mon passage en Autriche. 


Je ressens le besoin d’un peu de repos après ces deux premières semaines cumulant 75h de marche, et puis je suis triste à l’idée de devoir déjà quitter ce petit pays.
De l’autre côté de la frontière, des refuges d’altitude sont encore fermés et la neige reste présente sur certains tronçons  de mes passages prévus. 
Je ne suis donc pas pressée et décide de m’accorder un bonus de luxe en louant une voiture pour trois jours de road trip, histoire de laisser un temps de réparation supplémentaire à mes pieds, et d’offrir à mes yeux une dose d’émerveillements slovènes additionnelle 🙂

Trois jours qui vont définitivement finir de me faire tomber amoureuse de la Slovénie. A commencer par le lac de Bled, le plus célèbre. Un look de carte postale avec son château en contrehaut et son église perchée sur une petite île centrale. Son eau bleue invite à la baignade, tout du moins au trempage de pieds…

Puis, en avançant vers l’Est, je découvre une région plus agricole et maraichère, regroupant notamment d’immenses champs de houblons qui s’étendent de part et d’autre de ma route. J’apprends que la Slovénie en est l’un des plus gros producteurs au monde, avis aux amateurs de bière !

Proche de l’extrémité Est, c’est le petit village pittoresque de Ptuj. Lui aussi a son château qui le domine, entouré de bâtiments historiques colorés et élégants.

Une journée à gambader dans la superbe capitale Ljubljana, à l’image du reste du pays mais en version citadine : pleine de charme et d’histoire, remplie d’une douce et jeune énergie. Ma ballade est accompagnée par le son des étudiants du Conservatoire, qui répètent un concert classique en plein centre, remplissant l’atmosphère de leurs talents musicaux. 

Puis, retour à la nature avec une escale au lac Bohinj, le plus grand de Slovénie. Ici aussi des couleurs et une atmosphère incroyables, qui invitent à la contemplation. L’eau est cristalline, on y voit virevolter toutes sortes de poissons.

Et pour finir, une parenthèse au lac de Jasna, proche de ma ville de départ, avec son panorama de rêve devant les montagnes du Triglav.


MERCREDI 16 JUIN


Les clés de la voiture sont rendues. Les fringues sont lavées. Le ravitaillement est prêt. Le topo au clair pour les prochains jours. Demain, je renfilerai mon sac à dos pour rejoindre la frontière Autrichienne. Adieu Alpes Juliennes. Bonjour Alpes Carniques. 

C’est avec émotion que je quitte la Slovénie. Je ne connaissais rien d’elle avant d’y poser les pieds. Mais, comme pour l’Alaska, l’évocation de son nom avait résonné en moi, et la magie des lieux découverts par ici a confirmé cette intuition.

Gratitude pour ce pays green dans tous les sens du terme, qui matche avec mes idéaux de style de vie. Au-delà de ses contrées verdoyantes, pas un papier par terre en trois semaines, pas un déchet qui traine, ni en forêt, ni en campagne, ni en ville.
Un respect naturel de l’environnement, auquel les habitants sont intrinsèquement connectés. Une discrétion et une authenticité palpables.

Gratitude envers les femmes et les hommes croisés sur mon chemin, qui font le charme de l’aventure autant que celui des paysages traversés. Un accueil simple et bienveillant, des locaux qui respirent la gentillesse. 

Désormais, en fermant les yeux, la prononciation du mot « Slovénie » s’accompagnera de précieuses images, inoubliables souvenirs de cette première partie d’aventure. 

Une pensée pour ceux qui me suivent, merci pour vos petits mots qui m’accompagnent chaleureusement tout au long de mes journées 😉 

18 commentaires sur « « It’s a kind of magic » »

  1. Maud merci pour ces belles images et le soin apporté à tes commentaires. Je voyage de mon fauteuil de bureau. Bises, Alain

  2. Merci Maud de tes nouvelles et pour toutes ces belles photos….
    Avec toi durant ce beau voyage…
    Je t’embrasse.
    MLN

  3. Merci ma Maudule pour ces récits et ces belles images qui nous font voyager. Fière de toi pour le passage des ponts en bois 💪😘

  4. Merci Merci, que de joie de découvrir la Slovénie, à travers ton regard, tes pas et tes mots. Dis moi les personnes avec qui tu as communiqué, parlaient tous en anglais, ou en plus de toutes tes magnifiques qualités, tu parles aussi Slovène? :))) Bisous forts

  5. Toujours aussi superbes tes photos, et un plaisir de te lire! J’espère que tes « petits » bobos te laissent tranquille.
    Garde le cap Morue!
    Biz

  6. Merci Maud de nous faire partager tes sublimes découvertes. Ça donne très envie de découvrir la Slovénie. Bonne route. Bises

  7. Merci Module. Un bel article sur cette destination qui m inspire !!! Je vais me pencher sur le sujet. Belles découvertes à toi pour L Autriche

  8. Bravo pour ces splendides photos et le récit passionnant qui les entoure.on voit que tu as du sang Berthet dans les veines….bonne continuation dans ton périple.jacques

  9. Que c est beau 😍 tu nous donnes envie de voir de plus près ce beau pays…il va y avoir beaucoup de monde si tu continues à nous faire rêver . On pense très fort toi😍on t embrasse😘

  10. Jolie découverte au travers de ton périple , de ce premier pays traversé. Magnifiques lieux et belles rencontres humaines que tu sais toujours provoquer. Bon vent vers l’Autriche avec ton ange gardien 😇et nos pensées toujours à tes côtés! Mille bisous.

  11. Ça donne envie d’aller faire un tour en Slovénie! Merci pour ces belles aventures et superbes photos! En route pour l’Autriche. Bon vent morue!

  12. Je saute sur tes récits à chaque fois que j’ai la notif de mise à jour du blog et c’est toujours un réel plaisir de te lire et de regarder tes photos, toujours prises sous le bon angle !
    J’espère que tes ampoules sont parties et tes muscles habitués à ton rythme effréné ?
    Tu parles en anglais avec les personnes que tu rencontres ?
    Merci encore pour ce partage…Je suis tombée sous le charme de la rivière Soča…la couleur me rappelle les gorges du Verdon.
    Gros bisous et plein de forces pour les étapes suivantes.

  13. Wahou Magnifique !!! Est ce que dans le prochain épisode, nous aurons des nouvelles d’Anne Caroline, l’Allemande ? Le suspense est insoutenable …
    Ne lâche rien ! Tu es la meilleure !
    Bisous

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