« J’irai dormir chez la dame de Haute-Savoie »

Samedi 11 septembre

« Souviens toi de vivre ».
Ce petit écriteau en bois fixé sur un tronc au bord de mon sentier accroche mon regard, et me laisse de quoi méditer pour la fin de journée.
J’ai quitté Briançon tôt ce matin, ses rues en pente, sa cité Vauban et sa position stratégique entre cinq vallées, ouvrant un réseau infini d’escapades pour les amateurs d’outdoor.
J’entame la dernière « ligne droite » de mon aventure en entrant dans le Parc Naturel Régional du Queyras. Avec son environnement riche et varié, c’est un condensé de petites merveilles pour en prendre plein les yeux du matin au soir, et du soir au matin. Transition entre les Alpes du Nord et celles du Sud, il offre tantôt forêts de pins et de mélèzes, tantôt prairies d’alpages, lacs, cascades ou rivières.

C’est sous un beau soleil que je monte aux Chalets des Ayes, paisible hameau situé en bas du col du même nom. Quatre chevaux chillent en liberté devant ce panorama montagnard. Un papy accompagné par son berger allemand aussi vieux que lui leur apporte quelques croutons de pain, rituel silencieux qui semble instauré entre ce petit groupe de locaux.

Quelques cuillères de beurre de cacahuètes et un reste de pizza en guise de pause une fois arrivée là-haut, et je redescends à Brunissard, village découvert quelques années plus tôt lors de mes premiers tests de montagne en solo, réalisant alors le tour du Queyras sur une dizaine de jours.

Je me retiens de pousser la porte de l’apiculteur local, chez qui j’avais trouvé à l’époque un régal de miel de montagne… mais là non, vraiment pas besoin de 500g additionnels dans mon sac de sherpa !
Pour compenser, je m’offre un goûter gaufre & glace un peu plus loin. Mon corps me réclame des calories que j’ai du mal à gérer au quotidien, me contentant souvent d’en-cas rapides un peu trop légers à son goût.

Recharge des réserves d’eau à la fontaine du village, point stratégique et salvateur de tout randonneur, puis direction le lac de Roue pour un bivouac aux conditions parfaites.
Étendue d’eau atypique perchée à 1850 mètres au-dessus des villages qui l’entourent, ancienne tourbière transformée en lac, elle est en partie recouverte par des plantes aquatiques qui lui donnent cet aspect si particulier.
Toute une palette de couleurs s’étale devant moi, du doré des prairies au vert des mélèzes, du ciel bleu au gris des roches escarpées.    

Pour moi, peu de lieux offrent une ambiance aussi sereine qu’un lac de montagne. Éclairée par les rayons de fin d’après-midi, je profite de cette quiétude particulière entourée de quelques libellules, bien trop rapides pour se laisser photographier.
Le soleil disparaît doucement pour laisser place à une belle nuit étoilée, sans un bruit. Même pas un écureuil pour me réveiller parmi les arbres de la forêt au petit matin…

Dans la vallée suivante, c’est Château-Queyras et son fort qui domine le village, lui aussi remanié par la patte de Vauban.
Plus haut, un massif tranche au milieu de la lande rouge orangée, ses deux pointes rappelant les oreilles d’une tête de loup. Puis arrive le « Col Fromage » pour lequel, a priori, l’équipe de brainstorming en charge des nominatifs montagnards était en panne d’inspiration…

A Ceillac, village départ de nombreuses randonnées dans le Queyras, on accède plus haut à deux superbes lacs, qui mettent une fois de plus en lumière les œuvres d’art créés par Mère Nature.
Le lac Miroir, qui commence lui aussi à prendre ses teintes automnales, faisant ressortir sa végétation à l’ambiance canadienne.

Et quelques centaines de mètres plus en altitude, le légendaire lac Saint Anne, au bord duquel j’installe mon bivouac du jour.
L’eau y est si claire que même d’en contrehaut, je peux y voir les poissons nager sur ses abords. J’ai encore un peu de temps avant l’arrivée de la fraicheur de fin de journée, et je profite de crapahuter pieds nus autour du lac, les orteils sur l’herbe moelleuse, instants de douceur après une journée renfermés dans mes lourdes chaussures de marche. 

Autour des cimes, on entend à intervalles réguliers le bruit de pierres qui roulent le long du versant, signe du passage de chamois ou de bouquetins qui escaladent les rochers. J’essaye sans succès de les apercevoir, « attablée » devant mon repas de « luxe » à la french touch ; soupe de légumes, fromages du Queyras et croissant-nutella !

Au matin, le soleil se lève timidement avant de retourner se cacher derrière une brume nuageuse, créant une nappe opaque et lumineuse en fond de scène.
Une hermine furtive qui devait me surveiller alors que j’étais de dos à admirer le lac file en sautillant derrière les rochers.
Tout au loin, la vue du col s’ouvre jusque sur la barre des Écrins, dévoilant l’imposant sommet de la Meige et son glacier, unique touche blanche dans cet univers minéral.

Dans la vallée suivante, les marmottes sont de sortie en nombre, toujours plus grasses, se gavant de leur petit déjeuner, pas une seconde effarouchées par mon passage.

L’air humide fait ressortir l’odeur de la forêt. Je rejoins la vallée de l’Ubaye en suivant sa rivière du même nom, déconnectée des réseaux dans cette région reculée et préservée.

Après un mois de météo idéale, une nouvelle dépression approche. Pluies, orages et alertes oranges qui compliquent à nouveau mes plans… 
Je laisse le bivouac de côté pour une option gîte, dont l’accueil froid des propriétaires est heureusement compensé par un chaleureux groupe croisant les infos de leurs itinéraires du jour et de ceux à venir.

Le lendemain, après une nuit d’averses, le ciel menaçant me fait presser le pas pour avaler une nouvelle étape. Je ressors avec résignation le poncho, ses crissements plastifiés et ses claquements dans les bourrasques de vent.
Le passage au milieu d’anciennes fortifications et baraquements militaires ajoute à la touche austère de l’étape.
Pas un bruit, pas un animal, ni au sol ni en l’air. Silence magistral au beau milieu des sommets embrumés.

A onze heures, on a déjà l’impression que la nuit tombe sur la vallée en contrebas. Ambiance de fin du monde.
J’arrive au pas de course à Larche, village entièrement détruit par les Allemands lors de la seconde guerre mondiale, reconstruit depuis mais néanmoins semblable à un village fantôme sous ces conditions, qui plus est hors saison.
Réfugiée au chaud et au sec dans une petite auberge, je tergiverse sur mes étapes à venir, du fait de l’instabilité météo et d’infos diverses glanées ces derniers jours.

Finalement, c’est Julien qui m’offre une alternative idéale. Breton installé à Tahiti depuis dix ans, il est venu passer un peu de temps au calme dans une paisible maison familiale et m’accueille à Embrun, au bord du lac de Serre-Ponçon, un peu plus à l’ouest de mon itinéraire initial.
C’est la première personne originaire de la Côte Atlantique que je rencontre depuis mon départ, et je renoue avec plaisir avec le monde de la Mer. Nos conversations maritimes me reconnectent en douceur avec mon environnement à venir, faisant baisser mon appréhension de laisser les montagnes derrière moi…

Un week-end pour profiter du lac et de son rooftop. Des sources chaudes finalement pas si chaudes pour s’y aventurer. Des vues panoramiques dans les alentours. De Vauban et de ses fortifications, encore lui. Et puis, après un gros orage nocturne, des premières neiges tombées sur les sommets… Winter is coming !

Ces quelques jours m’apportent l’énergie parfaite pour entamer mes dernières étapes, direction les Alpes Maritimes. Ici, winter is not coming at all, les températures estivales ne laissant même pas encore songer à l’automne.

Je retrouve l’ambiance méridionale dans laquelle j’ai vécu ces dernières années. Les maisons crépies, l’accent chantant, les petits villages provençaux perchés sur les hauteurs. Les oliviers et les figuiers. Les lauriers roses et les chèvrefeuilles. Les odeurs changent, l’air est plus sec, les buissons épineux griffent les mollets sur les petits sentiers.
Ca sent le Sud, les écorces de pin et le thym. Par ici les hauteurs sont plus homogènes, courbes vallonnées recouvertes de forêts.

Après avoir vécu les quatre saisons en quatre mois, je termine sur une note estivale sous 27°C, marques de bronzage à leur apogée, piqûres d’insectes et pieds en fusion.

Je ressens la nostalgie des « derniers », sentiment familier à l’approche de chaque clôture de chapitre. Derniers rayons de soleil matinaux à travers les arbres de la forêt. Derniers crissements des feuilles mortes sous mes pieds. Derniers écureuils. Derniers ponts. Derniers cols. Dernières vues panoramique. Derniers dérapages sur les pierriers…

Jeudi 23 septembre

MONACO.
Huitième et dernier « pays » de ma traversée. L’envers de l’ambiance vécue jusque-là, mais néanmoins étape de fin officielle de la Via Alpina.

Cinq cent mètres de descente depuis les hauteurs de la Turbie pour un retour au niveau zéro, celui de la Mer, après 115 jours perchée en altitude. Les reliefs vont me manquer. L’énergie des montagnes aussi, mais celle vivifiante de la mer se ressent déjà.

Et me voilà, entre deux mondes, un peu secouée par le tumulte Monégasque, et pourtant déconnectée de cet étalement de luxe, planant encore dans ma bulle.
Clap de fin aux pieds de la statue du Prince Albert 1er, perché sur son rocher.

Le bruit des vagues dans les oreilles, le nez au vent face à la Méditerranée agitée par le vent, sa couleur mêlée avec celle du ciel, je savoure ces derniers instants de plénitude. Mélange d’émotions cumulées. De joie. D’accomplissement. De fatigue. Le tout sereinement enroulé dans une euphorie légère. 

Quatre mois de marche, et près de 1500 kilomètres parcourus.
Plus de 90 000 mètres de dénivelés cumulés… c’est un peu comme gravir une vingtaine de fois le Mont Blanc !
Au final, j’aurai suivi environ 80% de mon tracé planifié, les 20% restant ayant été adaptés aux visites des proches, aux rencontres faites au gré du chemin, et aux (nombreux!) aléas météo qui font que les plans d’une aventure au long cours sont aussi faits pour être modifiés…

J’ai vagabondé sous les étoiles des Alpes et je leur suis infiniment reconnaissante de m’avoir laissé fouler leur sol, m’ouvrant leur univers brut, me distillant les fragments de leur histoire géographique, géologique, culturelle.
Ces montagnes sont remplies d’histoires, chargées d’un passé parfois lourd, gardant secrètement les traces des guerres des siècles derniers, les vestiges d’anciens hameaux, les récits de ceux qui y ont vécu. Elles sont aussi un terrain de jeu infini pour les amoureux de la nature, où l’on y trouve la beauté dans chaque détail.

Je me suis nourrie d’elles pendant ces quatre mois. Leur rudesse, leur splendeur et leurs changements d’humeur. J’ai adoré photographier leurs courbes et leurs lumières.
J’y ai affûté tous mes sens, du premier au sixième, tissant un lien quotidien avec cet environnement sans faux semblants. 

J’ai monté et descendu des versants, et vice versa. Longé des crêtes, sillonné des flancs. Traversé des forêts enchantées, et d’autres un peu moins. Admiré des mers de nuages, des sommets légendaires. Découvert tant de spots de rêve. Été réveillée par des chevreuils, des écureuils, un renard, un mulot, et des tonnes d’oiseaux. Fait de la thalasso dans des rivières (très) fraiches. Failli participer à mon insu à un ultra trail. Peaufiné mes échanges de bons plans entre voyageurs. Me suis régalée de baies sauvages, de fromages locaux et de chocolats chauds. Usé mes semelles sur tous ces sentiers, avec parfois de petits cailloux dans les chaussures, au propre comme au figuré.

J’ai eu chaud, un peu. Froid, beaucoup. J’ai laissé quelques gouttes de sang sur les sentiers Autrichiens et leurs troncs d’arbres morts fourbes. Un zest de larmes dans les moments difficiles. Des salves de « sa *#$*@ bordel de mer** » dans les dénivelés positifs. Des poignées de « waahh put*** » aux cols en découvrant les prochaines vallées qui s’ouvraient devant moi. Des centaines de sourires partagés, offerts et récoltés. Et des milliers de « bonjour » dans tout plein de langues.

BREF, j’ai traversé l’intégralité de la chaine des Alpes à pied.

Gratitude envers tous ceux qui ont croisé mon chemin et m’ont nourri de leurs moments de vie. Gratitude également envers les personnes qui œuvrent dans l’ombre ; ceux qui entretiennent et sécurisent nos sentiers pour nous permettre de les arpenter en toute sérénité. Aux berger(è)s qui gèrent courageusement les alpages et maintiennent accessibles ces paradis d’altitude. Aux gardiens de refuges, cocons providentiels dans les moments durs. Continuons à protéger ces derniers espaces sauvages pour permettre à chacun d’entre nous d’aller y assouvir sa quête de liberté…

Le monde « d’en haut » est brut, rude et intransigeant, mais il est tout aussi pur, authentique et merveilleux. Le temps y est parfois suspendu, rendant l’agitation « d’en bas » d’autant plus insensée. Une fois déconnecté, on n’a parfois plus envie de s’y rebrancher…
Et, en même temps, prendre le temps d’y clarifier ses pensées, d’y laisser infuser ses idées, c’est se laisser aller à tout un nouveau monde d’opportunités.

« Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles, mais uniquement par manque d’émerveillement. »
De l’émerveillement, j’en ramène tout un nouveau stock. Respecter, protéger, et rester connecté à cette Nature qui nous fait vivre. C’est la suite que je veux donner à mon prochain chapitre de vie. Et à force de vagabonder sous les étoiles, il se pourrait bien qu’elles s’alignent vers de chouettes nouveaux horizons…

Et puis, comme dirait notre cher Francis, « quand j’aurai tout donné, tout écrit, quand je n’aurai plus ma place… je prendrai une guitare avec moi, et peut-être mon chien s’il est encore là et j’irai dormir chez la dame de haute savoie ».

Ultimes remerciements et big up à tous ceux qui ont suivi et vécu cette aventure avec moi, ce genre d’énergie est contagieuse… ne l’économisons pas !

« Douce France, cher pays de mon enfance »

Vendredi 20 aout
Après de belles retrouvailles familiales et amicales, je reprends mon périple en solo depuis le village Suisse de Champéry, en fond de vallée.
Le soleil se lève derrière les montagnes, passant doucement au-dessus des crêtes. Juste derrière elles, côté Est, le lac de Salanfe, au bord duquel j’étais 24h plus tôt.
Ce matin, c’est vers l’Ouest que je me dirige pour rejoindre la frontière… Française !

Mon itinéraire du jour est pour le moins imagé, via la route du « Grand- Paradis », puis le « Sentier des contrebandiers ».
Passeurs d’un autre temps, la contrebande entre la France et la Suisse était pratiquée jusqu’après la guerre par nos anciens. Moyen risqué, occasionnel ou professionnel, d’améliorer leur quotidien souvent précaire ; tabac, sucre, sel, jambon, miel, étoffes, et même parfois moutons et chèvres… tout cela en tentant de déjouer la surveillance des douaniers embusqués en montagne.

Grimpant dans la forêt en longeant un petit torrent, j’arrive rapidement sur le joli plateau de Barme, où la routine quotidienne de la traite matinale se termine. 

Tout au long du chemin qui mène au col, framboises et fraises des bois viennent raviver mes papilles entre deux en-cas. Un peu plus loin, ce sont les bosquets de myrtilles qui font chuter ma moyenne de marche !

Et puis le voilà, à 1920 mètres d’altitude. En plein vent, avec son ancien poste de douane planté là-haut, c’est le col de Cou.
Une borne en pierre matérialise la frontière. Les Dents Blanches et autres sommets alentours eux ne s’en soucient guère, mais moi, la symbolique me rattrape.
Chahutée par les bourrasques de vent qui tentent de dérober ma casquette, c’est comme une gamine que je pose les mains sur ce morceau de roc, petit pincement au cœur et larme à l’œil, après trois mois à gravir toutes ces montagnes pour finalement rallier mon petit pays natal. La sensation de revenir à la maison, bien que mon parcours soit encore loin d’être terminé.

En face, la Pointe de Nyon, vers laquelle je me dirige pour une longue descente vers Samoëns, avalée en toute légèreté. La météo redevenue clémente depuis ces derniers jours ajoute un cran de plus à mon humeur enjouée, semblant finalement offrir une atmosphère estivale qui se prolongera pour les deux semaines à venir.

Quand toutes les conditions – topographiques, météorologiques, physiques et mentales – sont réunies, le cheminement est un pur bonheur. « Bercée de tendre insouciance », je déroule mes étapes en toute sérénité.

Joie de pouvoir à nouveau parler en Français sur les chemins, en traversant les hameaux, et quand arrivent les pauses de fin de journée. Échanges de banalités ou de petits morceaux de vie qui retissent un lien humain un peu perdu ces derniers temps, du fait de la barrière de la langue allemande.
Joie également de retrouver sur ma carte des noms qui résonnent lors de mes préparations de topos. Tous ces sommets, vallées et passages montagneux présents dans les documentaires et livres que j’ai vu, entendu, lu, et dont je peux aujourd’hui prendre la mesure en réel.

A Samoëns, je fais la connaissance d’Alex, un Allemand qui suit le GR5, de Thonon-les-bains à Nice. Nos étapes suivantes sont similaires, la Via Alpina empruntant le même parcours, et nous aurons l’occasion de nous revoir à quelques points de passage, échangeant sur les traditionnels sujets entre randonneurs ; parcours, matériel et nourriture!
Je retrouve avec amusement cette petite « rigidité » allemande dans certains détails, comme le fait de l’entendre me dire « j’attends encore un peu avant de diner car il me reste trois heures avant d’aller me coucher » … moi qui ai abandonné tout fuseau horaire, me laissant bassement diriger par mon estomac pour le timing des repas et par mon cerveau pour les créneaux de repos !

Marchant le long du Giffre, jolie rivière bleutée qui court le long de la ville, je remonte dans les alpages par les chalets puis le lac d’Anterne. Un beau dégradé de couleurs s’étend entre roches minérales, prairies marécageuses et forêts.

Après un mois d’août marqué par une quasi exclusivité de troupeaux de vaches, c’est avec plaisir que je retrouve la mélodie plus légère des sonnailles de moutons, qui s’étalent largement des deux côtés de mon sentier.

Mais qui dit moutons… dit patous, ces gros chiens de montagne chargés de leur protection. Sachant qu’il est toujours déconseillé de passer au milieu d’un troupeau, perçu comme une menace potentielle, c’est avec une petite appréhension que je me faufile parmi les brebis. En le cherchant des yeux, je finis par voir un peu plus haut une grosse boule de poils blanche, affalée de tout son long, pile sur mon tracé, en train de se faire un gros roupillon… A pas de loups, je prends soin de le contourner, de loin, sans même qu’il remarque ma présence !

Plus tard, au col, ce sera au tour d’un grand Berger d’Anatolie de croiser ma route, autre chien de protection originaire des pays de l’Est, de plus en plus utilisé face à la menace grandissante du loup.
A ce stade, lui fait plutôt face à un bouquetin, planté sur l’autre versant, dubitatif devant ce molosse en direction duquel il devrait aller pour rejoindre le reste de son groupe un peu plus loin…

Le bivouac du jour en contrebas d’un refuge annonce le début de nuits de plus en plus fraiches, souvent entre 0 et 5°C. Le vent glacial de fin d’après-midi fini par tomber en même temps que l’obscurité. Accalmie synonyme de nuit paisible, malgré un réveil à 1h30 en pensant que le jour se lève, alors que ce n’est que le reflet de la pleine lune sur ma toile de tente… l’occasion d’admirer la voie lactée scintillante, loin de toute lumière citadine artificielle.

Puis, paisible démarrage de journée par un versant Nord, avec le bonnet et la petite laine supplémentaires. La lune est encore visible alors que le soleil prend progressivement sa place, m’offrant une magnifique lumière sur le Mont Blanc, barré de légers nuages rosés.

Plus à l’Est, les Grandes Jorasses, autres arêtes renommées dans le monde de l’alpinisme. Et face à moi, dans la dernière partie menant au col, une étagne (bouquetin femelle) et son petit me toisent de loin. Au bout d’un moment, m’ayant a priori exclu de leur liste de menaces potentielles à la vue de ma vitesse de marche en ascension, je les vois s’allonger sur un replat, semblant profiter eux aussi du panorama matinal.

Je rejoins l’itinéraire extrêmement réputé du « TMB » – Tour du Mont Blanc. Au col du Brévent, la vue lui fait face, les nuages dévoilant furtivement son sommet, immense stature enrobée dans un épais manteau de neige.

A ce point de passage, c’est au moins quatre langues différentes que j’entends en quelques minutes. Et pour cause, tout en bas dans la vallée, c’est Chamonix, où a sonné hier le lancement du mythique UTMB – Ultra Trail du Mont Blanc.
Sommet mondial du trail, il s’étend sur une semaine et regroupe plus de 10 000 coureurs de 19 pays, créant une effervescence dans les rues de la ville et les environs, avec le passage sur les sentiers de nombreux randonneurs et trailers en tous genres. 

Sexy et stylée Chamonix. Berceau d’aventures, épicentre des amateurs d’outdoor. Un « El Chalten » à la Française.
J’y passe une journée et retrouve l’ambiance vécue plus en amont de mon périple à l’ultra trail de Cortina d’Ampezzo dans les Dolomites.
En bonus, le petit déj’ local que j’avais presque oublié ; french baguette, maxi chocolatine et jus d’orange pressé 🙂

Le lendemain, je remonte en altitude. Dans le hameau où débute mon parcours, un gros husky est posté en caméra de surveillance, assis sur une chaise de jardin, le nez au-dessus de sa palissade… on est loin de l’image habituelle du chien-loup hyperactif !    

Je quitte à nouveau la France pour repasser en Suisse. Peu importe le pays, les écureuils dans la forêt sont toujours les mêmes, pestant à l’identique lors de mon passage sur leur territoire…

Arrivée à Trient, un espace libre basique mais appréciable est dédié aux campeurs, avec une petite redevance collectée chaque soir par une personne de la commune. Il est encore tôt, et je profite du temps clément pour chiller au soleil.
Le berger un peu plus haut replie ses filets pour changer les parcs de ses chèvres, son chien sautillant autour de lui.
Petit à petit, des randonneurs arrivent, la grande majorité réalisent le TMB. Un anglais me partage ses options de bivouac sur les étapes à venir, fier de me brandir son bouquin du « World’s famous trek » et de m’énumérer tous les sommets qu’il a gravi du haut de ses 66 ans…  

L’étape suivante s’annonce « sportive », mais pas vraiment comme à l’habitude. Après un début de matinée paisible, passant le col de la Forclaz au-dessus d’une mer de nuages, des randonneurs qui arrivent dans l’autre sens m’indiquent que le départ de la course de 56kms de l’UTMB a été donné, et que les trailers de tête ne devraient pas tarder.
En effet, mon itinéraire passe par une partie de leur tracé, et je vais avoir l’occasion durant les trois heures suivantes de croiser les 1460 inscrits, du premier… au dernier !

Bon, mis à part le fait que j’ai failli me faire à peu près dix-huit fois une cheville en grimpant sur les rebords des sentiers pour laisser la priorité aux coureurs et ne pas freiner leur progression, l’expérience est vraiment belle !
Étant en sens inverse, je vois les groupes progresser dans les hauteurs, entourés par les nuages qui créent une petite ambiance mystique sur certains passages.

Ponctuellement, je les encourage d’un « Courage ! – Good luck ! – Forza ! ou Suerte ! » en fonction du drapeau sur leurs maillots…
Le trail est une discipline que j’admire et qui me tente depuis de nombreuses années, en phase avec les valeurs qu’elle représente et avec mon attrait pour le sport en milieu naturel.

C’est très intéressant d’observer d’aussi près la progression d’une course. Attitudes, foulées, souffles, gestion des appuis, de l’effort, de la souffrance. Les trailers de tête sont dans un état de flow total, une bulle de concentration extrême, focus sur leurs traces et paraissant annihiler tout ce qui est autour d’eux.

Les différences de niveaux évoluent au fur et à mesure du passage des coureurs. Sur la dernière partie du groupe, je souris à la réflexion de l’un d’entre eux qui, en me croisant avec mon gros sac à dos, dit à son coéquipier « je ne sais pas si je serais capable de faire de la rando comme ça sur plusieurs jours… ». Et moi qui, à l’inverse, pensais le trail inaccessible du fait de l’instabilité de mes genoux capricieux, je réalise que finalement, c’est peut-être le déclic qu’il me fallait pour me lancer… un objectif à ajouter sur ma bucket list 🙂

Retour au calme pour la fin de journée. Installant mon bivouac autour d’un petit refuge niché sur une prairie dans la forêt, je suis bien contente de boucler mes étapes Suisses sur une note plus authentique, savourant une dernière fondue.

Mon ultime étape dans ce pays m’amène quelques heures avant le col de la frontière Italienne.
Ma marche est maintenant bien rodée, et j’arrive la plupart du temps à boucler mes étapes plus rapidement que sur les indications signalétiques ou sur mes prévisions de topos. Arrivée avant midi dans un super petit camping tenu par un homme adorable, je n’aurais pu rêver meilleur endroit pour profiter de mes dernières heures locales.
Terrasse ensoleillée, grande pièce pour cuisiner, de quoi faire une bonne lessive et reposer mes articulations qui tirent un peu.

Le lendemain matin, je fais mes adieux définitifs au pays du Toblerone (que je continuerai malgré tout à consommer régulièrement en hommage…) en rejoignant l’Italie par le col du Grand Saint Bernard.
Montée finale sous un vent glacial. Arrivée là-haut à 11h. 2469 mètres. 2,5°C… Première fois que j’enfile ma doudoune pour randonner en pleine journée !

Ce très historique passage est une ancienne voie militaire, notamment empruntée au 19eme siècle par Napoléon Bonaparte, son armée de 40 000 hommes et ses 5 000 chevaux partis guerroyer contre les Autrichiens.

Sur un ton plus pacifiste qui leur est propre, les Suisses y ont, eux, créé depuis 1050 l’Hospice du Grand Saint Bernard, qui accueille et protège les pèlerins, voyageurs et randonneurs de passage.
Une communauté religieuse de Chanoines y réside à l’année, alliant prière et accompagnement des hommes sur leur route, qu’elle soit montagnarde et-ou spirituelle.

L’église y conserve un trésor dont certaines pièces sont exposées, offertes par des donateurs laïcs ou religieux ; tissus précieux, artisanat d’art, joailleries, sculptures, céramiques… Pièces d’art dont l’unique but est de « soutenir la prière et accompagner la démarche du pèlerin » car « le regard paisible et lumineux de Saint Bernard éveille notre humanité et nous invite à cheminer en quête du trésor véritable».

En dessous, reposent dans une morgue aujourd’hui murée les corps momifiés par le froid de deux cent personnes qui n’ont a priori pas trouvé de trésor véritable, mais ont perdu leur vie en montagne…

Et puis, le lieu est également à l’origine de la célèbre race Saint Bernard, élevés depuis 1800 sur ce col par les Chanoines, entretenant la tradition des chiens d’aide au sauvetage en montagne.

De l’autre côté, les degrés remontent à mesure de ma descente pour mon plus grand plaisir. Bienvenue dans la vallée d’Aoste !
Un saut en navette dans la jolie ville du même nom pour une découverte rapide du vieux centre, un petit ravitaillement et une grosse glace, et me voilà de retour un peu plus haut dans un typique petit village sur mon itinéraire.

Samedi 28 aout
Trois mois tout pile que j’ai commencé à marcher. Alors quand Lorenzo, italien venu faire de la rando dans le coin et séjournant dans mon camping, me propose une virée à Courmayeur, c’est avec bonheur que je savoure mon premier mojito estival pour fêter ça en bonne compagnie!

Trois mois au cours desquels je me rends compte à quel point mon corps a muté, et s’adapte chaque jour aux efforts conséquents que je lui impose. Chaque semaine, je veille à élaborer mes topos en y intégrant des temps de repos, ou des étapes plus légères après une accumulation de forts dénivelés.
La gestion des signes ponctuels de fatigue n’est pas à prendre à la légère sur ce type de distances, pour éviter toute blessure ou incident de parcours tellement vite arrivé…

Et, malgré toutes les précautions, l’usure progressive semble inévitable. De petites douleurs quotidiennes, plus ou moins chroniques, qui me rappellent l’accumulation des kilomètres ; les tendons d’achille qui tirent, une épaule qui s’inflamme, un faux mouvement en rotation du genou qui a dû déplacer quelques nerfs dans une jambe, une mauvaise position figée dans mon duvet qui coince un psoas…
Ajoutant à cela le froid qui brûle de l’énergie même au repos, et un régime alimentaire un peu bancal, l’organisme est constamment soumis à rude épreuve.
Néanmoins, avec un peu de repos et de recul, je me surprends chaque jour de la capacité de régénération du corps humain, véritable machine dont nous sous-estimons bien souvent le pouvoir.

Dans cette région, le temps semble s’être figé, comme suspendu en altitude. Des petits hameaux en vieilles pierres, surplombés de nombreux châteaux, et les traces d’un passé français encore très présent. Le climat y est plus sec et ensoleillé, avec un vent imposant. Les sauterelles ont remplacé les limaces, leur grésillement me rappelant le Sud. 

Malgré cela, les nuits sont toujours plus fraiches. La transition de l’intérieur du duvet à la mise en route de la marche pique chaque jour davantage. En journée, j’ai la chance d’avoir le soleil avec moi, mais les températures restent de fin de saison. Le vent rafraichi en marche, mais refroidi instantanément à l’arrêt.

A Valgrisenche, l’un de ces petits villages perdus en montagne, je découvre une coopérative de tisserands qui valorisent à eux seuls toute une filière.
En lien avec les éleveurs de brebis, ils préservent une race locale en réalisant les tontes et en travaillant la laine par le tissage entièrement manuel de vêtements, sacs, couvertures et autres accessoires.
Une belle découverte alliant tradition et résilience pour ces métiers anciens.

Encore plus haut, perché à 2462 mètres, c’est le Lago Di San Grato qui me dévoile ses plus belles couleurs, enclavé parmi les massifs italiens, et entouré de quelques cascades qui s’écoulent depuis les glaciers.

Et puis, arrive l’heure de faire également mes adieux à l’Italie en passant le col du Mont qui, à 2639m, m’ouvre son panorama sur la France, empruntant la « haute route glacière ».
Sur le chemin j’y rencontre Gérard, dit « Popeye Gégé », retraité qui réalise lui aussi la Via Alpina, mais par portion d’un mois, depuis quatre ans.
Trois vautours fauves nous survolent alors que nous faisons une petite pause avant d’attaquer la descente qui mène au refuge.

De mon côté, j’installe ma tente à proximité, sur un promontoire offrant un replat parfait pour observer en toute quiétude le berger et ses vaches en contrebas, et le ballet de chasse des faucons crécerelles en contrehaut.
Je savoure pour quelques moments encore les rayons du soleil qui se sauvent chaque jour de plus en plus tôt, m’obligeant à me replier dans mon duvet tout en admirant les couleurs du ciel rougeoyant.

A 4h30, cette fois ce n’est pas le reflet de la pleine lune sur ma tente qui me réveille, mais celui des phares d’un pick up. Début de la première traite… respect à ces métiers également, alors que moi, petite randonneuse éphémère, je replonge pour deux heures de sommeil, emmitouflée jusqu’aux oreilles.

Ma redescente française se fait entre alpages, forêts aux sols moelleux, et stations de ski pour rejoindre Tignes.
J’y fais la connaissance de Nelly et Aurore, qui ont depuis cette année la gestion du camping municipal. L’occasion d’échanger sur leurs activités saisonnières en montagne, ainsi que sur leur passion pour les sports outdoor et les voyages que nous avons en commun.

L’une d’elles me conduit le lendemain à Bourg Saint Maurice, où je prends quelques jours de pause pour finaliser mon vaccin, dormir au chaud et me cuisiner de vrais repas.

Cela me laisse le temps d’arpenter les rues de la ville, et de visiter la coopérative laitière de Haute Tarentaise.
J’y découvre les secrets de fabrication du Beaufort. Sa stricte réglementation, ses subtilités d’hiver, d’été, d’alpages, et les efforts de 52 producteurs regroupés pour valoriser leur filière et leurs belles vaches Tarines et Abondances, deux seules races reconnues pour faire ce type de fromage.

Dimanche 5 septembre
Je rejoins le lac de Tignes pour reprendre mon itinéraire sous un grand soleil, ravie de partir à la découverte du Parc National de la Vanoise, que je vais traverser durant les prochains jours. Premier des dix parcs nationaux créés en France, c’est un véritable bijou sauvage, préservé de la patte humaine et de ses aménagements civilisés.

Son univers est brut et minéral. Totalement silencieux. Avec l’impression d’être une minuscule chose au milieu de ce décor grandiose, je passe aux pieds de l’imposant glacier de la Grande Motte, suivant les cairns qui balisent un semblant de sentier à travers les pierriers. A peine quelques fleurs poussent dans les rocailles de cet environnement austère, presque lunaire.

De l’autre côté du col, le vallon de la Leisse fait place à un paysage de lande alpine. Les couleurs du sol se transforment déjà vers des tons jaunes et orangés, annonce du changement de saison prochain.

Chaque semaine qui passe, les marmottes sont de plus en plus grasses, peaufinant leurs réserves pour leur hibernation à venir. 

La pluie qui s’invite de manière imprévue en fin d’après-midi m’incite à laisser la tente dans le sac et à opter pour une place au refuge de la Leisse, tenu par deux jeunes très sympas. Une dizaine de personnes sont là pour la nuit, chouette petit groupe pour partager une soirée autour du poêle à bois, dans un chalet où tout est prévu pour le confort des randonneurs de passage.

Après une nuit au chaud mais entrecoupée par les allers-venues et les ronflements de mes colocs ponctuels, je continue ma traversée du Parc, retrouvant cette sensation d’être totalement sortie de la civilisation.
Entourée d’imposants massifs proches des 4000 mètres au-dessus desquels le soleil tarde à s’élever, je croise un groupe de trois chevreuils, deux mâles et une femelle, qui détalent à toute vitesse à travers les bosquets.

Plus bas, dans un village, nouveau camping, nouvelle rencontre. Yoris, originaire de Bruxelles, effectue l’intégralité du GR5 et, à la différence de tous ceux rencontrés dernièrement, a démarré depuis le Luxembourg début juillet ! 

Le lendemain, au départ de mon étape, une gentille dame qui se rend à l’église m’interroge sur mon parcours du jour. Ma journée commence par 1400 mètres de montée pour rejoindre le col de la Vallée Étroite.
Elle me confirme de manière si charmante que je peux m’attendre à « quelques-petits-raidillons » en passant par « la-montée-du-calvaire-qui-porte-bien-son-nom ». EFFECTIVEMENT. « Douce France, oui je t’aime, dans la joie ou la douleur… »

Néanmoins, l’effort en vaut largement la peine. 1000 mètres plus haut, le paysage s’ouvre en panoramique dans des couleurs splendides, un grand ciel bleu face à moi, le Mont Thabor sur ma droite.
De l’autre côté du col, des tons plus verts et une descente dans une plaine traversée par une petite rivière, qui mène au hameau des Granges Étroites. 
Enclave italienne sur le territoire français, cédée à nos voisins au 18eme siècle, puis récupérée au 20eme, les habitants y sont néanmoins tous italiens, situation ambiguë mais a priori pacifique pour ce petit morceau de paradis alpin.

De retour en vallée en prévision d’une dégradation météo, je me réveille avec la mélodie matinale du chant de la rivière de la Clarée à quelques mètres, et de celui des petits oiseaux que je n’avais plus entendu ces derniers temps, peut-être eux aussi planqués à l’abri dans leurs duvets à l’arrivée du froid automnal…
Le temps brumeux m’incite à rester « en bas » aujourd’hui, longeant jusqu’à mon étape suivante cette même jolie rivière aux allures canadiennes. Sans les saumons. Ni les ours. Pas plus mal…

Jeudi 9 septembre
Pas de mieux côté météo, je vois se maintenir pour les deux jours à venir les nuages de pluie sur l’écran de mon téléphone.
J’en profite pour une pause citadine à Briançon, qui signera mon entrée dans un parc naturel régional qui m’est cher, car il est le premier que j’ai découvert dans les Alpes ; le merveilleux Queyras (sans prononcer le S pour ne pas heurter les oreilles des locaux…).
De là, une quinzaine d’étapes me sépareront de la Principauté Monégasque, point final de ma traversée 🙂

Thanks for following !

« This could be heaven or this could be hell »


Samedi 24 juillet 

Exit l’Autriche pour entrer au Liechtenstein et en ressortir… 24h plus tard ! 
Vaduz, la capitale de cette toute petite Principauté, est surplombée par son château médiéval dans lequel réside toujours la famille princière. Avec ses 5 000 habitants, elle n’offre pas grand intérêt, en dehors de sièges administratifs et financiers.
Sans lingots cachés là-bas pour affronter le niveau de vie qui m’attends juste à côté, je continue donc ma route et passe une nouvelle frontière en longeant le Rhin, sans même un panneau ou signe de changement de territoire…
Entrée en Suisse, sixième pays de mon périple, et premier ne faisant pas partie de l’Union Européenne. Retour aux « Francs » !

Sargans est la première ville que je rejoins. Je m’y pose une journée pour préparer mon topo sur l’itinéraire Vert de la Via Alpina, qui me fera traverser une bonne partie du pays, dont 60% est recouvert par les Alpes. 

Départ matinal vers les hauteurs de la ville, depuis lesquelles le soleil tente une timide percée à travers la masse nuageuse… tentative rapidement abandonnée pour laisser place à une brume bruineuse.  
Je ressors avec regret mon poncho et son effet sauna, avec double effet kiss cool ; d’un côté la pluie qui ruisselle à l’extérieur, de l’autre la transpiration qui condense à l’intérieur… 

Montée vers les alpages, mon chemin parsemé de petites maisons typiques et d’exploitations agricoles au-delà desquelles la visibilité sur les montagnes environnantes est quasi inexistante.

Un peu plus loin, je rencontre deux français. L’un n’est là que pour quelques jours, l’autre suit également l’itinéraire Vert. Nous bivouaquons en fin d’après-midi près d’une ferme, les conversations écourtées par la pluie congédiant chacun à l’abri dans sa tente…

Je les quitte tôt le lendemain matin, profitant d’une accalmie avant le retour de pluies orageuses.
J’aurai l’occasion de les recroiser quelques jours plus tard, lors d’une pause dans une petite auberge d’alpage, toujours de chouettes retrouvailles lorsque l’on croise et recroise des randonneurs au long cours. 

Sur le sentier en direction du col, les roches changent à nouveau, plus foncées et plus friables, teintées de gris argentés et de bleus irisés qui s’illuminent sous l’effet de l’eau qui les recouvre. 
Parmi elles, des dizaines de petites salamandres noires ponctuent ma route. En « slow motion » dans la fraicheur matinale, tout comme moi. Attendant l’arrivée des rayons du soleil, tout comme moi.

Ma descente dans la vallée suivante se fait parmi les sapins et les érables, qui se mélangent et cohabitent sur les flancs escarpés des chaines montagneuses alentours.

Les Alpes sont très belles ici aussi, exposant nombre de sommets de 3000 à 4000 mètres et plus. Massives. Imposantes. Presque menaçantes avec leurs reflets noirs quand le temps se couvre. Traversées par de nombreuses chutes d’eau, abondamment alimentées durant ces derniers mois. 

Plus bas, le joli petit village d’Elm ouvre la vue sur ses grandes maisons en bois. Je le traverse au petit matin, savourant la chaleur naissante du soleil dans mon dos après une demi-journée cloitrée dans ma tente, sous la pluie. 

De nouveaux orages étant annoncés dès midi, je reste en vallée pour rejoindre mon étape suivante.
Parfois, c’est agréable pour « reposer » les muscles en minimisant les dénivelés, tout en profitant de traverser les petits villages pour observer les maisons, les jardins, les décorations… et les nombreux animaux domestiques sur mon passage.
Pour l’originalité du jour, j’y verrai même un troupeau de lamas sur un flanc de vallée ! 

Un peu plus loin, c’est au tour d’un groupe de poneys de croiser mon chemin, en liberté et en file indienne, leur pas déterminé semblant les mener vers des herbages un peu plus loin. Certains s’arrêtent à ma hauteur pour une gratouille sur le chanfrein.
Je préfère penser qu’ils sont attirés par mon petit côté « Brigitte Bardot des montagnes » plutôt que par mon odeur potentiellement proche de la leur après ces quelques jours de bivouacs… !

Parfois, mes étapes du soir me sortent un peu de mon quotidien « montagnard », comme dans ce camping-spot de glisse en bord de lac, où il faut attendre 18h pour monter sa tente devant le local des planches!

A Linthal, les conditions pluvieuses m’imposent une journée d’arrêt. Je décide de prendre un train pour aller dormir au bord d’un lac un peu plus au nord, ruminant de ne pas pouvoir marcher aussi régulièrement que je le souhaiterais. 

A peine assise dans mon wagon vide, d’humeur aussi maussade que la météo, un vieux monsieur un peu débraillé (mais surtout un peu déjanté) monte et décide de s’asseoir face à moi, semblant mettre un point d’honneur à me faire la conversation durant tout le trajet… 

Voyant que je ne comprends rien à l’allemand, il me prend pour une américaine du fait de mes réponses succinctes en anglais, et me baragouine tout un tas de sujets dans un mélange anglo-allemand approximatif. Du Wisconsin à l’histoire de la région. De l’alignement des planètes à leurs prévisions annuelles, livre à l’appui. Du paysage « qui-est-plus-joli-de-ce-côté-du-wagon-alors-tu-dois-changer-de-place-pour-mieux-le-voir… ».
Finalement, il me tend trois marrons pour « garder-une-bonne-énergie-dans-tes-jambes-durant-tes-randonnées-à-venir ». Un à mettre dans ma poche gauche, et deux dans ma poche droite, car « il-faut-plus-d’énergie-aux-marrons-de-ce-côté-pour-aller-jusqu’au-cœur » !

Bon, au final, je n’ai ni tout compris, ni tout retenu… Mais, à minima, j’ai eu un bon fou rire intérieur ! Et puis, je repars avec sa carte de visite ; manuscrite, sur papier quadrillé, mais découpée en bonne et due forme 🙂 

Journée de repos près du lac Walenstadt. La vue ne se découvre qu’en fin de journée, une fois le gros des averses évacué.
En contrebas, un voilier, seul, cocotte éphémère glissant sur le lac qui me laisse enfin entrevoir son bleu-gris. Face à moi, une grande chute d’eau se jette au pied d’un hameau. Quelques rapaces tournoient lentement dans les airs, profitant des courants ascendants. Les hirondelles, elles, fusent et rasent le sol avec leurs plongeons répétés. Un chat se fige en position de chasse dans un pré, guettant la sortie des mulots. 

Le lendemain, je reprends mon itinéraire de marche avec une grosse journée de dénivelés, comme quasiment toutes les étapes Suisses, qui oscillent entre 1200 et 1800m de dénivelé positif, avec l’identique en négatif derrière. 
Étant donné l’instabilité du temps, c’est un challenge quotidien de surveiller l’évolution de la météo et de calculer au mieux mes temps de marche pour passer entre les gouttes, et éviter de me retrouver dans un orage en altitude…
Mes journées démarrent souvent aux alentours de 6h30, pour être de retour en vallée ou en lieu abrité en début d’après-midi, les conditions se dégradant majoritairement en deuxième partie de journée. 

Heureusement, les sentiers sont en grande majorité extrêmement bien aménagés, les temps de marche précisés d’un point à un autre, les étapes abritées régulières.
La principale difficulté réside dans l’état des chemins détrempés par les précipitations, parfois vraiment boueux en alpages, ou glissants dans les pierriers, ce qui augmente les risques de chutes, de blessures, ou tout simplement de pataugeage un peu trop prononcé… 

Et puis, nouveau challenge à relever. Passage isolé, traversée périlleuse ? Non, non… je dois prendre une télécabine !
Après ma phobie des ponts (qui, je dois le souligner, s’est nettement améliorée), c’est la deuxième chose vraiment stressante qu’il m’est difficile de réaliser seule. Mais aujourd’hui, mon temps de marche prévu vs le timing d’arrivée des orages ne colle pas, je dois donc trouver le moyen de raccourcir un peu mon étape.

Fort heureusement, alors que je suis là, plantée et confuse devant une toute petite télécabine vintage faite pour deux personnes, sans bureau de paiement car il est au point d’arrivée en altitude, un autre randonneur arrive.
Sosie du chanteur Dave, il parle parfaitement français et allemand et m’accompagne sur ma montée, gérant la communication avec le guichetier tout là-haut. Il ne me chantera pas « Vanina » pour me détendre durant ces quelques minutes, mais au moins le fait de focuser ma concentration sur notre conversation m’évitera une trop grosse montée d’angoisse ! 

Le deuxième challenge de cette journée est au passage d’un col, qui n’est pourtant « qu’à » 2400m. Moi qui voyais la neige comme un vieux souvenir, il y en a encore quelques bons passages par ici. L’un d’eux m’écarte de ma trace et je me retrouve à escalader périlleusement un autre flanc de montagne pour rejoindre mon sentier initial, me mettant bêtement en difficulté.
Leçon retenue pour la prochaine fois… et coup de stress rapidement évacué par la beauté du panorama qui s’ouvre sur la vallée de l’autre côté, ainsi que par la petite course contre la montre quotidienne pour avaler les 1300 mètres de descente avant d’être rattrapée par la pluie.  

Juste le temps d’arriver au camping avant un gros orage de grêle accompagné de belles rafales de vent, qui me prouve une fois de plus la remarquable résistance de ma tente face à ces déchainements ponctuels… 

Ces perturbations sont usantes, et donnent le sentiment lassant de passer plus de temps tapie à l’abri plutôt qu’en haut des montagnes qui, chaque jour, drapent inexorablement leurs courbes dans leurs voiles nuageux. 

Les températures en baissent et l’humidité constante refroidissent le corps, lui imposant de continuer à brûler son énergie même au repos, et créant une sorte de fatigue générale latente. 

En même temps, c’est précisément ce que je suis venue chercher. Me confronter au milieu montagnard sur une longue période, le ressentir bien au-delà de mes courtes expériences estivales précédentes, ou tout paraît idyllique sous le soleil du moment. 
Ici, la véritable maîtrise est entre les mains de Mère Nature. Les Éléments te rappellent qu’ils sont rois. La Montagne dicte sa loi et te remet à ta place de simple passager. 
Tu ne peux pas décider de tout petit Humain… 

Trois jours d’averses continues s’en suivent. A nouveau, ma résilience est mise à l’épreuve. Re-déclenchement du budget « aléa climatique », je me refugie dans un hôtel douillet pour retrouver un peu de douceur. Sécher et mettre au propre mes affaires. Faire sentir bon mes fringues. Racheter des aliments frais. « Luxe, calme et volupté ».

Lundi 2 août

Le créneau météo se lève enfin. Départ dans la fraîcheur matinale, rapidement oubliée avec les 1400 mètres de dénivelés positifs pour cette première partie d’étape. Contente de reprendre ma marche, car aujourd’hui c’est une journée « lacs ». Trois sont prévus sur mon itinéraire !
Dans la forêt, les branches des arbres s’égouttent encore des dernières pluies nocturnes. Le calme est absolu, mis à part quelques timides chants d’oiseaux et quelques écureuils qui sautillent dans les feuilles mortes à la recherche de leur petit déjeuner.
Je dépasse progressivement les cimes des arbres pour me rapprocher de celles des massifs face à moi. 

Premier col à 1800m, et déception devant la découverte du premier lac. Ce qui aurait pu être un joli site d’altitude n’a plus grand chose de naturel, défiguré par les pylônes et les câbles des remontées mécaniques, une route bétonnée allant d’un énorme hôtel à un restaurant, ponctué d’un gros parc à jeux bordé de graviers… pour l’authenticité vous repasserez ! 

Je continue pour passer le deuxième col, le froid ambiant contrastant avec la chaleur dégagée par mon corps. Le temps se voile au fur et à mesure de mon ascension. Habituellement, la vue aux cols, c’est la cerise sur le gâteau… Mais là, avec cette purée de pois, je suis carrément privée de dessert! 

Seul bourdonne à mes oreilles le bruit des remontées mécaniques qui rejoignent le gros restaurant d’altitude que je distingue à peine.
Heureusement, un peu plus loin démarre ma descente vers une nouvelle vallée… et un nouveau lac, celui-ci bien plus authentique. 

Pour finir, mon étape me conduit au bord du troisième et dernier lac, autour duquel j’avais prévu de bivouaquer. Le sol est tellement gorgé d’eau partout qu’après en avoir fait le tour complet, je finis par me résigner à aller dormir au chaud et au sec dans une auberge toute proche.  

Le lendemain matin, seulement 6h30 et 2°C, mais on s’active déjà par ici… 
La traite est finie et les vaches remontent le chemin en direction de leurs alpages. Les étables finissent d’être nettoyées. Les tracteurs transportent les cuves de lait. Les premiers pêcheurs sont déjà en place au bord du lac. 

Je m’active à marcher pour me réchauffer, tout en savourant ce moment paisible et privilégié. La mélodie des sonnailles résonne le long des flancs d’alpages. Tintements plus ou moins lointains, sensation d’un bercement léger à mes oreilles, à l’instar des cliquetis sur les mâts des bateaux amarrés dans les ports, mais en version montagnarde.

Les vaches sont omniprésentes dans toutes les montagnes, belles et pacifiques, semblant profiter elles aussi des panoramas quand je les vois couchées, somnolant devant les sommets enneigés. Images de carte postale. 
Je leur adresse souvent un petit mot quand je les croise de tout près, les remerciant pour les bons fromages que je savoure grâce à elles au quotidien, ou pour le chocolat au lait réconfortant en cas de coup de mou. 

Les passages sur les crêtes sont toujours incroyables, d’autant plus durant ces heures ensoleillées, trop succinctes. Visions vertigineuses à 360°. Flancs à pics. Glaciers qui se fondent dans les nuages, mais que l’on semble presque pouvoir toucher du doigt. Marmottes et marmottons, qui, ce jour-là, alertent leurs troupes de la présence de deux jeunes renards venus chasser sur leur territoire.

En bas, je retrouve avec plaisir François, Via Alpiniste Français déjà rencontré deux fois auparavant. Nous patientons 24h en vallée, attendant le bon créneau météo pour avancer une journée ensemble, avant que nos chemins ne bifurquent à nouveau.

La nuit venue, dans le camping situé au pied de la face Nord de l’immense Eiger, on peut distinguer le petit point lumineux d’un refuge d’alpinisme, sur la crête proche de son sommet. Quelques autres minuscules lumières brillent également, certainement celles d’un groupe d’ascensionnistes partis à son assaut. 

Et puis, réveillée en sursaut, je discerne une petite silhouette qui se dessine en ombre chinoise sur l’auvent de ma tente, ainsi qu’un museau pointu qui se glisse sous la toile… un renard rôde ici toutes les nuits, mais l’histoire ne dira pas s’il a été attiré par mon sac de provisions renfermé dans la tente, ou par l’odeur de mes chaussures restées dehors, qui lui rappellent certainement celle de ses congénères !

L ’étape du jour valait l’attente des rayons du soleil. Remarquable, non seulement parce que le col porte mon nom « Kleine Scheidegg » (traduire « Petite Scheid » 🙂 ), mais surtout car elle passe aux pieds de trois sommets d’alpinisme mythiques : l’Eiger, le Mönch et le Jungfrau. 

Enneigés et entourés de glaciers, ces trois géants contrastent avec le vert des pâturages en contrebas.
Mais ils contrastent aussi avec la véritable mini ville qui s’étend sous nos yeux, au beau milieu du col. Hôtel de luxe. Gros restaurant. Boutique souvenirs. Terrasses et chiliennes…
Mais aussi une gare, dont les trains arrivent depuis les deux vallées alentours. Et en bonus, un train touristique monte via un tunnel de 7kms à plus de 3400 mètres vers le sommet de la Jungfrau, où l’on peut, entre-autres, trouver un palais des glaces, une boutique Lindt ou encore un snow park.
Démesure moderne…

C’est le sentiment globalement contrasté que me donne cette partie de Suisse parcourue. Incontestablement un superbe pays, traversé par une chaine alpine abritant de véritables bijoux, mais autour desquels l’atmosphère authentiquement brute et sauvage semble se faire rare. 

La montagne y est extrêmement « civilisée ». Des hameaux, des habitations, des exploitations sur tous ses flancs. Des hôtels de luxe aux cols les plus touristiques. Des hauteurs en grande majorité atteignables par bus, train, funiculaire ou téléphérique à l’arrivée duquel est affiché en 4×3 une publicité pour la dernière Peugeot 3008…

Accessibilité pour tous et hausse de fréquentation qui posent la question du respect et de la protection de nos espaces naturels, bien souvent mis à mal. La montagne semble être devenue un business plus qu’un sanctuaire à préserver. 


Dimanche 9 aout 

Arrivée dans la paisible petite ville de Lenk.
Depuis quelques jours, mon corps s’est un peu ralenti, décompression inconsciente à l’approche d’une semaine « off » après les efforts soutenus et les conditions climatiques capricieuses des dernières semaines.

Lenk est le point de ralliement familial avec ma mère, mon neveu, l’un de mes frères et son amie, qui arrivent le lendemain pour passer une semaine ensemble en montagne. Chouettes moments de partage avec dépaysement pour les uns, ressourcement pour d’autres !

Au programme ; balades en alpages, dégustations de fromages, visite de grottes, trotti-bike et accrobranche, escapades citadines à Interlaken et à Lausanne avec les cousins locaux… Je découvre par la même occasion un morceau de Suisse Française, moi qui n‘avais jusqu’à présent marché que du côté Allemand.  

Et, pour préparer la relève des aventuriers familiaux, initiation d’ Antoine, mon neveu, au lever de soleil au-dessus des montagnes… ainsi qu’aux troupeaux de chèvres qui déboulent en galopant vers nous pour se rendre à la traite !

La semaine se clôture par la visite d’une chocolaterie, car « qui croque un morceau de chocolat croque un morceau de bonheur ».
Me voilà rassurée, car avec le nombre de Toblerone avalés ces derniers temps, j’ai de quoi être sacrément heureuse 🙂

Lundi 16 aout

La familia reprend la route pour une longue traversée en direction de La Rochelle. De mon côté, je me retrouve au milieu de la cosmopolito-chic ville de Genève, impatiente d’aller me perdre à nouveau dans mes montagnes, mais cette fois en compagnie de Marine, l’une de mes meilleures amies, qui débarque le lendemain à l’aéroport pour quatre jours.

Direction la petite ville Suisse de Saint Maurice au sud-est du lac Léman, où Jonathan et Ioessa, un couple d’amis en road trip en Italie, nous rejoignent en surprise de dernière minute pour des « potes retrouvailles » ! 

Nous passons ces quelques jours tous ensemble, et je finis de les convertir au plaisir de la randonnée en montagne avec deux chouettes itinéraires vers des lacs d’altitude, sous un temps idyllique. En toile de fond, entre autres superbes sommets, le Mont Blanc et les Dents du Midi… 

C’est bon de retrouver des têtes familières! Partager un apéro (ou plus…). Prendre des nouvelles françaises. Se serrer en camion pour partir à l’aventure. Rire à des blagues nulles. Rire de tout et de rien, tout court. 

Puis, Jo et Io reprennent leur route, tandis que Marine et moi profitons d’une dernière journée au bord du lac de Salanfe, avec option auberge, fondue savoyarde et lever de soleil doré sur les montagnes environnantes.

Vendredi 20 aout 

Partage d’un bout de train, d’une salade et de quelques derniers rires avec Marine, puis je bifurque pour reprendre ma route en solo dans un petit village d’où je rattraperai mon itinéraire initial. 

Le rechargement des batteries électroniques, physiques et mentales est au top après ces vacances familiales et amicales. Parée pour la suite de mon itinéraire vers… La France !!  

Plutôt en avance sur mon timing initial que j’avais volontairement prévu « large », cela me laisse un peu de temps pour étudier les pistes de mon itinéraire jusqu’à Monaco, hésitant encore entre Via Alpina rouge, GR5, variantes dans les parcs naturels… ou combo d’un peu tout ça !

Mais, comme le dit si bien notre cher Mike Horn : « Pour se mettre en marche, il suffit d’avoir 5% de réponses à ses questions. Les 95 % restantes viennent le long du chemin. Ceux qui veulent 100% de réponses avant de partir restent sur place. »

Pensées chaleureuses à tous ceux qui me suivent, de près ou de loin 🙂

« J’veux du soleil ! »

Vendredi 2 juillet
Nouveau mois, nouveau pays !
Je quitte l’Italie et ses inoubliables Dolomites pour retourner côté Autrichien. Cette première partie de juillet sera marquée par une note plus citadine, pour rendre visite à des amis qui habitent à proximité de mon itinéraire.

A commencer par Innsbruck, que je rejoins en train pour le week-end. A la sortie de la gare, c’est comme un petit électrochoc de me retrouver dans le centre urbain. Moi qui n’ai pas mis les pieds dans une « vraie » ville depuis mon départ fin Mai, tout me semble décuplé ; les odeurs, les sons, le bruit de la circulation… La « foule » me fait presque me sentir comme un petit animal sauvage, avec mon look de randonneuse et mon gros sac à dos parmi les citadins flânant dans les rues !
Une fois posée et changée, je me fonds à mon tour dans la masse pour découvrir le centre historique et ses animations. Entourée par les montagnes à 360 degrés, l’accès facile et rapide à de nombreuses activités outdoor participe grandement au charme de la ville. 

Puis je retrouve Ralf, rencontré quelques années plus tôt en Alaska. A l’époque, je démarrais tout juste mon bike trip et ajustais encore mon rythme, mes connaissances de voyageuse au long cours et mes habitudes culinaires. Lui, plus que rodé, avait déjà cumulé de nombreux autres voyages à vélo, faisait en moyenne le double de kilomètres vs mes journées, et excellait dans la préparation de ses repas, preuve à l’appui quand il nous avait concocté un couscous maison improvisé lors d’un bivouac en bord de lac. 

Cinq ans plus tard… ça n’a pas changé ! Installé ici depuis plusieurs années, il travaille à l’hôpital, principalement de nuit, rythme qui lui permet de profiter de nombreux jours de récupération pour s’adonner à ses hobbies. 
Son goût pour la cuisine, les sorties ultra sportives et les espaces naturels sont toujours aussi présents. Nous partageons à nouveau quelques bons moments, et retrouvons sa petite amie ainsi qu’un autre ami, guide VTT en montagne, pour un délicieux dîner fait maison.
Leurs connaissances des alentours me seront une fois de plus précieuses pour affiner mes infos de randonnées à venir… 

Une nouvelle semaine démarre ensuite avec un train qui me reconduit rapidement dans une vallée proche, au pied de la Via Alpina, dans le petit village de Schwaz. C’est bon de retrouver l’air frais et la quiétude des montagnes !

Je regrimpe gentiment en altitude vers de nouveaux alpages, qui prennent leurs teintes estivales. Les troupeaux sont de sortie, principalement des vaches dont les sonnailles égayent les alentours, de temps à autre accompagnées par les cris des marmottes. Les veaux gambadent et se chamaillent entre eux, tandis que les plus vieilles paissent tranquillement. 

Ces « ados » qui ont parfois une curiosité un peu trop envahissante quand ils s’approchent pour me renifler sur des passages communs étroits…
Un midi, tranquillement installée pour une pause « séchage de tente » au soleil, un petit groupe ira même jusqu’à me faire changer d’endroit après qu’ils se soient retrouvés à près de dix autour de moi, attirés par mes toiles étendues sur l’herbe et allant même jusqu’à essayer de les manger !

Tous les refuges sont à présent ouverts et ponctuent régulièrement mon itinéraire, de sorte que je n’ai pas à me poser trop de questions pour mes ravitaillements en eau. La neige ne devrait maintenant plus être une préoccupation, et il est vraiment agréable de profiter de ces quelques journées ensoleillées, sur fond de superbes panoramas. 

Chaque jour, je ne me lasse pas de cette sensation grisante en me retournant régulièrement pour apprécier le chemin parcouru, passant d’un versant à l’autre, d’un massif rocailleux à un alpage, d’une forêt à un abord de rivière. 

L’importance des petits pas, qui, l’un après l’autre, permettent finalement d’escalader toutes ces montagnes. Comme dans la vie. Parfois, on ne distingue pas le chemin sensé nous mener à notre destination, mais inutile de s’en soucier, il suffit de continuer à avancer pour le voir se profiler petit à petit au détour de virages, de lacets, de hauts et de bas. 

Quand les conditions sont bonnes et que de chouettes spots se présentent, j’apprécie aussi particulièrement mes bivouacs sauvages, qui doivent par ici se faire discrets car ils ne sont pas vraiment autorisés…
Au bord d’un petit torrent, je peux m’accorder mon moment de « détente girly » en profitant d’une toilette rafraichissante et de fringues (presque) propres, tout en admirant les couleurs changeantes sur les massifs qui m’entourent, selon la course des nuages et l’humeur de la lumière environnante.       

Bonus si, au petit matin, le soleil se lève de mon côté, faisant glisser ses teintes orangées sur les murailles rocheuses, puis me réchauffant le visage quand il passe au-dessus des barres montagneuses.
Simples mais précieux instants de plénitude. La sensation d’être une vraie privilégiée avec un spectacle unique, rien que pour moi.   

Puis viens la redescente progressive en vallée, pour rejoindre une nouvelle petite gare en direction de ma deuxième visite programmée : Münich!

Mon ressenti à l’arrivée est le même qu’à Innsbruck. Ca « sent la ville », et j’ai toujours besoin d’un temps d’adaptation pour dissiper cette sensation brumeuse de retour à la civilisation !

Brunehilde (dite Bubu !), une de mes plus proches amies, est venue s’y installer pour dix-huit mois avec Xavier, son conjoint, et leurs deux enfants, Aïto et Hina.
Une semaine de pause citadine chez les Parthenay-Perrois, c’est un peu comme être à la maison, un peu comme être en famille, retrouver des repères coutumiers tout en me plongeant dans leur nouvel environnement. 
Je découvre avec plaisir la ville et le fait que chacun d’entre eux semble s’être rapidement acclimaté à cette nouvelle vie 🙂

La ville est grande, riche et belle, remplie d’histoire. Elle semble agréable à vivre, car très verte avec ses grands parcs, ses allées ombragées en bord de rivière, son optimisation pour y circuler à vélo en toute sécurité … on y trouve même un spot de surf dans l’hyper-centre ! Le tout agrémenté de nombreux « biergarten », littéralement « jardin à bière », pour ne pas faillir à la réputation allemande… 

La météo est capricieuse mais nous profitons au maximum des créneaux dégagés, bien que les averses fourbes aient régulièrement le dessus et nous laissent rentrer de nos escapades pédestres ou cyclables douchés…

Une soirée à l’Odeonsplatz, l’une des plus belles places de la ville,nous plonge dans l’univers classique et chic d’un concert philarmonique. Anecdote historique, sept ans plus tôt, jour pour jour, nous étions Bu et moi au concert des Francofolies de La Rochelle… vieillesse et/ou sagesse qui approchent ?! 

Dans un autre registre, une de nos sorties me marque particulièrement lorsque nous nous rendons à l’ancien camp de concentration de Dachau, situé tout proche de Munich. Particulièrement sensible à cette tragédie historique, ce plongeon en « réel » dans le passé des lieux est poignant. 

Premier camp nazi ouvert en 1933, il renfermait durant ses dernières années 32 000 personnes dans des baraquements initialement conçus pour 6000, et ne sera libéré par l’arrivée des Américains qu’en avril 1945, comptabilisant plus de 41 000 morts durant sa période d’activité… 

Aujourd’hui, une grande partie du site a été conservée, entourée de mémoriaux et de rétrospectives détaillées. 

Le musée qui retrace l’histoire du camp est riche en documents historiques, témoignages et photos d’archives glaçantes. Le cœur serré et les tripes retournées, je dois à plusieurs reprise ravaler mes larmes à la vision des horreurs commises dans ces lieux de terreur et de mort. 

Une surpopulation entassée dans des conditions dramatiques, subissant maladies et épidémies au quotidien, avec, au-delà des travaux forcés, des punitions brutales, et des exterminations, nombre de sordides expérimentations effectuées par les médecins SS de l’époque.

L’occasion de se rappeler que nous, humains, sommes bien la seule espèce vivante capable d’infliger de telles atrocités à ses semblables…
L’occasion également de noter qu’à mon sens, à la lecture des actualités sur notre situation sanitaire et nos préoccupations présentes en France, les parallèles faits avec cette époque n’ont rien de comparable et ne devraient être amalgamés avec ce dont ces milliers, millions de personnes ont été privés et ont subi durant ces années sombres.

Mais, sur une touche plus légère, après ce devoir de mémoire, le devoir est à la célébration de la Vie, avec un timing de séjour parfait pour fêter les onze ans de mon filleul, autour d’un gâteau sur-mesure pour marquer l’événement 🙂

Dernière soirée avant de reboucler mon sac à dos pour la suite de mes pérégrinations montagnardes… Merci à vous les aventuriers des villes ! 

Mercredi 14 juillet
Tschüüüüs München ! 
Bu m’accompagne dans le train qui nous amène deux heures au sud-ouest de la ville, dans un petit village typique du Sud Tyrol à la frontière Autrichienne. Elle descend quelques arrêts plus tôt que moi, pour faire un repérage de randonnée en vue de futures escapades familiales. De mon côté, je reprends ma marche dans une atmosphère fraiche et brumeuse qui ne me laissera que peu de répit avant de se dégrader. 

En France, c’est la Fête Nationale. Ici, c’est la Fête de la Pluie, avec option prolongations pour les jours à venir…
Une pluie fine s’intensifie progressivement. Le plafond nuageux est gris et bas, la brume descendant rapidement les montagnes jusqu’à les recouvrir entièrement, ne me laissant qu’un brouillard opaque pour seule vue. L’impression étrange que la nuit va tomber en plein milieu de journée.
Un orage éclate, assez bref mais suffisamment impressionnant pour me rappeler ma pauvre vulnérabilité de marcheuse, si petite au milieu des éléments en rogne. J’avance une demi-heure avec la sensation d’avoir un pommeau de douche au-dessus de la tête, avant de trouver une petite cabane en bois sous laquelle m’abriter pour laisser passer le gros de l’averse… et laisser place à cette désagréable sensation glacée dès lors que mon corps en pause commence à se refroidir. 

Plusieurs heures de marche me séparent encore du prochain village, le panorama autour de moi rendu morne et austère par cette pluie continue.
Partout, les niveaux des rivières sont au plus haut, leurs courants forts transformés en eaux marronnasses. L’eau ruisselle de partout ; des cascades, des bords de sentiers, des branches d’arbres… mais aussi de mon poncho, qui s’écoule sur mon pantalon, qui lui-même s’écoule sur mes chaussures…
Non, décidément, danser sous la pluie, ce n’est pas encore pour moi… (Spéciale dédicace à Vaness!)

Malheureusement, les prévisions sont du même acabit jusqu’à la fin de la semaine, et vont m’obliger à faire preuve de patience avant de continuer mon chemin.

Cinq jours avec la sensation qu’il est 19h toute la journée.
Cinq jours sans voir un coin de ciel bleu.
Cinq jours sans savoir à quoi ressemblent les paysages alentours.

Impossible d’envisager de retourner sur les sentiers de haute montagne dans ces conditions. J’avance de quelques kilomètres en restant en vallée, et déclenche le budget « aléas climatiques » pour rester à l’hôtel, où, même confortablement installée, les trombes d’eau régulières viennent troubler mon sommeil tant certains épisodes sont violents. 

A lire les retours d’expériences d’autres Via Alpinistes sur la communauté facebook, la situation est générale et tout le monde est à l’arrêt, plus ou moins prolongé.

S’adapter aux éléments et jongler avec les contraintes météo font aussi partie du jeu, et j’apprends à gérer mon moral face à l’inactivité, transformant frustration en abnégation pour éviter de laisser la brume envahir également mon cerveau. 
A défaut d’occuper le corps, occuper l’esprit avec le tri des photos, la prépa de mes topos à venir, la gestion de ma logistique, des tests covid… et les soirées Netflix ! 

Naturellement, les rayons du soleil manquent cruellement. En randonnée, l’humeur est instinctivement liée au temps qu’il fait, et il n’est pas si évident de s’en détacher. Mais parfois, il suffit de petits riens pour changer la donne ; une musique sur le MP3, un message reçu, ou un bout de chocolat retrouvé au fond d’un sac !

Finalement, le soleil se décide à repointer son nez un lundi, n’en déplaise à Claude François… 
C’est avec une joie de gamine que je le regarde se lever et venir prendre place au-dessus des cimes. Comme si une main invisible avait soulevé le rideau de brumes pour laisser apparaître un nouveau spectacle, et découvrir les silhouettes des massifs alentours totalement masquées durant ces interminables derniers jours.  

Cette fois, je reprends « vraiment » ma route sous les rayons UV, heureuse de me claquer de nouveaux coups de soleil sur les épaules et les mollets ! 
Une semaine de marche me sépare du Liechtenstein, mon prochain (tiny) pays. J’appréhende un peu l’état dans lequel je vais retrouver les sentiers d’altitude après ces jours diluviens, mais les températures redevenues estivales et le soleil bien réinstallé sèchent assez rapidement la majorité de mon itinéraire. 

Une semaine de marche avec de belles et longues journées ensoleillées, sans une goutte d’eau, sans un orage, quel bonheur !
Mon itinéraire est magnifique jour après jour, avec des dénivelés progressifs et des balisages impeccables qui rendent ma progression plus fluide.
Quelques étapes montagneuses. Un lever de soleil somptueux après une nuit en refuge. Un retour en vallée à travers plusieurs petits villages authentiques, qui seront les derniers de mon tracé Autrichien. 

En faisant une étape camping dans l’un d’entre eux, j’y rencontre Tim, un autre Via Alpiniste Allemand. Bien qu’avec des parcours un peu différents, nous avons démarré quasiment en même temps et passons la fin de journée à partager nos expériences respectives et nos ressentis de marche en solo. 

Vendredi 23 Juillet
Vaduz. Liechtenstein. 
Cinquième pays sur mon parcours.
600 kms parcourus à pied pour 200 heures de marche cumulées.
Et déjà huit semaines écoulées sous les étoiles des Alpes ! 

Ce deuxième mois m’a fait avancer dans ma mutation personnelle, à tous les niveaux.
Physiquement, mon corps s’est renforcé, affuté. Mes genoux sont presque au top de leur forme. Mes pieds se sont endurcis. Après trois changements de chaussures, je suis finalement revenue à ma bonne vieille paire de Meindl, qui semble faire le job le plus optimal. La plupart de mes douleurs ont disparu, et le poids de mon sac à dos me semble chaque jour un peu plus léger 🙂

Délestée de certaines contraintes physiques, l’adéquation entre corps et esprit s’améliore. Tous deux communiquent en meilleure harmonie, sorte de dialogue intérieur et de conciliations réciproques pour appréhender les défis quotidiens.

Mentalement, ma déconnexion se fait plus profonde. Mon nomadisme plus serein. Ma « routine » de marche, d’organisation, et de logistique est maintenant rodée. J’améliore petit à petit mon agilité mentale tout autant que mon agilité physique, pour élargir mes capacités d’adaptation jour après jour. 

Deux mois de prise de hauteur, désormais au propre comme au figuré. L’ouverture progressive vers une période de réflexion plus intime. C’est ce que j’aime dans ce type d’aventure. Ce que je suis venu retrouver, clarifier, faire germer pour méditer sur mes choix de vie à venir. Le cheminement est aussi bien extérieur qu’intérieur.

Chaque jour, on peut rester en bas à regarder la montagne en face de soi, pour n’y voir qu’une muraille infranchissable et intimidante. Et on peut aussi prendre le temps d’analyser les chemins possibles pour la gravir, étape par étape. Et arriver en haut pour y découvrir un nouveau champ des possibles.

Les montagnes sont une mise à nu qui incite à la recherche d’authenticité. Aller explorer plus profondément ses ressources secrètes. Passer au-delà de l’effort physique, et laisser le mental se poser. Lorsqu’il se clarifie petit à petit, il est plus facile de voir au travers et de laisser jaillir de nouvelles idées, en confirmer d’anciennes, en abandonner d’autres. 

L’alternance de moments en solitaire et d’autres à la rencontre d’autrui est également idéale pour moi. Chaque rencontre est unique, et j’ai la conviction que chacune se présente sur mon chemin pour une raison précise. Qu’elle soit pour quelques instants, quelques jours ou pour un lien à vie. 
Chacune participe à ma réflexion personnelle pour continuer à façonner mes piliers de vie en découvrant, en échangeant sur la manière dont chacune gère les leurs. Leur mode de vie. Leurs priorités et leur gestion du temps. Leurs joies et leurs difficultés. Leurs questionnements et les miens…
M’inspirer de ces bribes d’expériences extérieures qui auront ensuite tout le loisir de venir se confronter à mes aspirations intérieures. 

Ralentir pour mieux écouter. 
Observer pour mieux comprendre. 
Expérimenter pour mieux apprendre.
Éprouver pour mieux choisir. 

Tout un programme pour avancer vers ce troisième mois 🙂

Next step au pays du chocolat… cap vers la Suisse pour le mois d’Aout !

“ If it makes you happy ”

Jeudi 17 juin

Dernier départ de Slovénie en direction de la frontière Autrichienne, pour rejoindre le tracé de la Via Alpina dont je m’étais légèrement décalé pour éviter un col enneigé. Une journée de reprise à rallonge qui commence par quelques détours pénibles, me retrouvant bloquée à deux reprises par des clôtures d’alpages en barbelés sur des sentiers d’altitude que j’avais prévu d’emprunter. 

Soit… si l’Autriche rechigne à m’ouvrir sa porte, je passerai par la fenêtre Italienne ! La zone étant frontalière entre les trois pays, je récupère un peu plus bas une longue piste cyclable qui me fait entrer un peu plus au sud.

Comme je regrette mon Surly en voyant tous ces cyclistes me dépasser en toute légèreté, moi me trainant avec mon gros sac à dos sous un soleil de plomb!
Cramée, dans tous les sens du terme, j’arriverai finalement en fin de journée à la frontière Autrichienne à l’entrée du petit village de Thörl, après 35kms de marche, et juste à temps pour me mettre à l’abri avant que la pluie ne s’invite…

Le lendemain, le redémarrage est fébrile. Mon corps à peine reposé, mes muscles endoloris et mes mollets rouges. C’est pourtant une grimpette de 1000 mètres raide à souhait qui m’attend pour atteindre mes premiers vrais paysages d’altitude, au-delà de 1500 mètres.  Heureusement pour moi, je profite un peu de la fraicheur ombragée des bois avant d’accéder aux premiers alpages. 

Certains passages sont extrêmement raides, me donnant l’impression que les autrichiens ne s’embarrassent pas des sentiers en lacets pour tracer plutôt des raccourcis au droit dans la forêt, m’obligeant parfois à me sécuriser avec les mains tant la pente est abrupte.
Je sens les fibres musculaires de mes mollets étirées à leur maximum, mes bâtons fermement ancrés dans le sol pour m’aider à propulser mes pas, mon cœur résonnant jusque dans mes tempes.
Je prends de la hauteur, mais pour l’instant au sens propre uniquement… ! 

Par ici, les sentiers semblent très bien balisés. Heureusement, car à défaut, il ne sont pas toujours bien dessinés, et surtout ne semblent pas du tout entretenus.
A l’inverse de certaines jolies portions forestières, d’autres se transforment en véritable parcours du combattant. Jonchées de nombreux sapins morts en travers du chemin, il faut redoubler d’énergie pour escalader les troncs, les contourner, se contorsionner ou ramper pour passer dessous sans y accrocher son sac… 
J’y laisserai quelques gouttes de sueur additionnelles, et une belle entaille sous une cuisse en me ratant sur le passage de plusieurs arbres enchevêtrés… 

Malgré tout, l’arrivée sur les alpages est un vrai bonheur. L’air est plus frais et la vue s’ouvre sur un panorama montagnard comme je les aime. Par endroit, le sol encore jauni et brûlé traduit la présence récente de neige, les premiers brins d’herbe commençant à peine à percer. 
J’avance littéralement sur la frontière Italo-Autrichienne, suivant les bornes en pierre qui la matérialise. Ici aussi, les traces de la seconde guerre mondiale sont bien visibles ; bunkers, postes d’observation, mémoriaux…

Une nouvelle étape m’amène tardivement jusqu’à un alpage dont les quelques maisons semblent toutes fermées. Seulement deux tentes sont installées sur un coin d’herbe plat. Deux français ! Les premiers rencontrés depuis mon départ du pays ! 
François, originaire du Vercors, est également parti pour une traversée intégrale des Alpes. Bernard est venu le rejoindre de Genève pour deux semaines de traversée à ses côtés. Je m’installe avec eux et retrouve le plaisir de bavarder dans ma langue natale…

Au petit matin, réveillée par un rayon de lumière diffus sur la toile de ma tente, je savoure le premier lever de soleil en haute montage depuis mon départ, qui me régale par sa beauté et l’ambiance sereine qui s’en dégage. Ces instants qui effacent toute la douleur endurée pour arriver jusque-là !

Moi et mes compatriotes passerons les deux jours suivants à marcher ensemble dans la joie et la bonne humeur, accompagnés par vaches et marmottes sur notre passage. 

Nouvelle étape, nouvel alpage. « Egger Alm », petit hameau typique avec ses jolis chalets en pierres et en bois, ses locaux venus pour le week-end, quelques sportifs et cyclistes de passage.
Le tout ambiancé par LE restaurant/bar de Rudi, propriétaire des lieux, qui semble être le point de passage bucolique du coin. 

Un groupe de VTTistes Autrichiens, déjà attablés avant notre arrivée, enchainent les pintes de bières, chacune d’entre elle entrecoupée par un shot de digestif…
Amusés, nous les surveillons d’un œil tout en savourant nos premiers « Karntner Nudelns », sortes de gros ravioles garnis qui pourraient éradiquer la faim dans le monde à eux seuls… 
Interloqués par le nombre de tournées accumulées par nos voisins, nous trainons à table, curieux de voir dans quel état ils vont reprendre la route, eux qui n’ont pas commandé de repas pour éponger un minimum… A notre grande surprise, ils remonteront quelques heures plus tard sur leurs vélos sans sourciller et sans un écart, après un dernier petit digestif offert par le patron… Respect à l’entrainement local!

La bonne humeur règne, le diner partagé avec les conversations d’une autre randonneuse et de quelques locaux. Nous aussi aurons droit à notre tournée de liqueur de myrtille offerte par Rudi, qui semble mettre un point d’honneur à trinquer avec chaque table de clients 🙂

Autour de nous les vaches paissent en liberté, entretenant les environs, venant boire aux points d’eau du hameau et se frottant sur les murs des maisons. Une petite étable fait la traite sur place et fabrique ses fromages que nous ne manquerons pas de tester! 

Rudi nous ayant permis de planter nos tentes à côté de son auberge, vient la question au moment de se coucher du « comment ne pas se faire écraser par l’une d’entre elles pendant la nuit »…
Hilare, le voisin nous apporte quelques piquets et un rouleau de clôture pour nous assurer un sommeil plus serein. Ironie du sort, c’est nous qui nous retrouvons parqués pour la nuit !
Blottie dans mon duvet, je m’endors au son des sonnailles, avec la vision du gros nez d’une vache à trois mètres de ma tente en jetant un œil par l’entrebâillement de ma fenêtre.

Après une étape matinale démarrée à 5h pour éviter la chaleur, François et Bernard poursuivent leur route pour rejoindre un sommet côté italien, tandis que je m’accorde une pause à Nassfeld, station de ski autrichienne. Mon énergie est au plus bas et j’ai grand besoin d’une journée off pour réfléchir à la suite de mon itinéraire. 

Les prochaines étapes de la Via Alpina passent par les crêtes des Alpes Carniques à une altitude élevée, et je suis de nouveau confrontée au risque de passages enneigés sur lesquels je ne veux pas m’engager…. Doute confirmé quelques jours plus tard par les garçons qui m’enverront leurs photos crampons aux pieds ! 

Un peu frustrée de ne pas pouvoir suivre mon itinéraire planifié. Un peu désabusée de devoir à nouveau trouver un plan B sans avoir de cartes et avec peu d’infos à disposition. Et un peu dubitative sur mon corps qui me lance quelques alertes. 

La contrainte physique de la marche avec un sac à dos chargé pour l’autonomie est forte, bien plus forte qu’en voyage à vélo. Je fatigue de plus en plus vite et peine à retrouver 100% de ma forme pour avancer « facilement ».
Chaque bobo ou douleur anodins lors d’une marche ponctuelle ont des répercussions sur des jours de marche cumulés, créant des effets rebonds en cascade ; un genou qui tire et ce sont les ligaments de la jambe opposée qui trinquent. Une ampoule sous le talon qui modifie les appuis et c’est l’autre pied qui compense…
Mon pied gauche s’inflamme de plus en plus, provoquant des douleurs du dessus des orteils en passant par la voute plantaire jusqu’au talon d’Achille, et me lançant des décharges électriques en fin de journée qui viennent me titiller jusque dans mon duvet alors que l’heure du repos salvateur approche. 

Alors je réapprends le lâcher prise, et fais évoluer mes plans initiaux pour en créer de nouveaux au jour le jour. En fonction de la météo. De la forme physique. Du moral. Des rencontres. Des infos glanées sur ma route. Et cela fonctionne plutôt bien …! 
Les bonnes surprises, les bonnes personnes et les petites synchronicités quotidiennes s’enchainent, preuves que mon instinct me guide sur le bon chemin.
Je m’écoute plus et mieux. 

A commencer par ma rencontre avec Annette, une Allemande qui parle un excellent français et séjourne également dans la maison d’hôtes où j’ai pris une journée de repos. Nous partageons quelques bons moments ensemble, durant lesquels elle m’accompagne pour trouver les cartes dont j’ai besoin, puis pour une après-midi chill au bord d’un lac et enfin pour un bon diner dans un restaurant typique. 

Nos hôtes ont également une petite ferme dans la continuité de leur jolie maison, derrière un jardin potager exemplaire dans lequel je vais flâner en compagnie de leurs chiens. Une belle découverte et un vrai repos qui tombent à pic !

Finalement, je décide de faire un saut de cent kilomètres en train pour alléger mon rythme sur les jours à venir et me rendre directement dans le Nord des Dolomites, en zappant la deuxième partie des Alpes Carniques encore partiellement enneigées. 
J’ai à cœur de passer du temps dans cette région montagnarde mythique située dans le Sud Tyrol, et je ne vais pas être déçue!

Les Dolomites sont un bijou, souvent surnommées à juste titre le « joyau des Alpes ». Près de 142 000 hectares sur lesquels sont répartis 18 sommets de plus de 3000 mètres, véritables murailles verticales au sein de massifs qui regorgent de spécificités géologiques toutes plus belles les unes que les autres. 

Extrêmement touristique en été, j’ai la chance d’y être encore en demi saison, ce qui me laisse le temps d’explorer plutôt sereinement les endroits les plus prisés en début de journée. Je profite du réseau organisé de navettes au sein du parc pour randonner « en étoile » à la journée, laissant ma tente plantée en camping.
Quel bonheur de retrouver la légèreté de crapahuter avec à peine quelques kilos sur le dos ! Je sens mon corps regagner toutes ses forces jour après jour, avec la presque sensation de pouvoir parcourir les sentiers en mode trail… 

Je n’aurai pas assez de superlatifs pour décrire les merveilles de ces lieux, qui méritent haut la main leur place au Patrimoine Mondial de l’Unesco. 
Ici, tous les panoramas sont scéniques. Chaque massif a sa propre singularité. Leurs envergures imposantes s’étirent, ciselées, bien au-delà des cimes des sapins, laissant place à des ambiances minérales incroyables. L’eau y est aussi omniprésente, entre lacs, rivières et cascades. Et puis la neige, toujours là également sur certains itinéraires, notamment sur les faces exposées au Nord. 

Le Lago Di Braies m’offre ses superbes lumières matinales, et sa vision à 360° tout simplement à couper le souffle. Deux truites longent le bord de la rive à mes côtés avant de rejoindre d’un coup de nageoire les eaux bleutées plus profondes. Elles font partie des quelques espèces de poissons protégées par ici.

Un peu plus loin, un champ de cairns tranche sur le bleu-vert du lac, petites pyramides de pierres initialement utilisées en montagne pour marquer les sentiers non balisés.  

Le lendemain, c’est le sommet du Mont Specie à 2307m qui m’en met plein la vue, avec sa vue plongeante sur tous les massifs alentours, incluant les Tre Cime, emblème du Parc. 

En fin de journée ou en soirée, les orages réguliers offrent eux des festivals d’éclairs et de coups de tonnerres qui roulent le long des montagnes alentour. Une ambiance façon « home cinéma », leur résonnance allant parfois jusqu’à faire vibrer le sol autour de moi. 
Heureusement, au petit matin, la lumière revient, et les premiers rayons du soleil m’accompagnent dans chacune de mes marches, perçant à travers les sapins et faisant s’évaporer les brumes.  

Après quelques jours passés au nord du parc, je fixe mon deuxième QG à Cortina d’Ampezzo, ville idéale pour sillonner les alentours.

J’y arrive en début de week-end, durant lequel se déroule un ultra-trail avec plus de 3000 coureurs attendus. L’ambiance dans la ville est électrique ! A 23h le soir, bien au chaud et à l’abri, les muscles au repos, c’est avec une pensée compatissante que j’entends résonner le départ pour la plus grande boucle… de 120kms. 

Chaque journée qui passe est une succession de cartes postales au travers des différentes randonnées que l’on me conseille…  

Et puis les bonnes surprises continuent, avec François sur qui je retombe par surprise dans le même camping que moi une fin d’après-midi ! Sa traversée Carnique avec Bernard est terminée, et il s’accorde un peu de repos à Cortina en attendant l’arrivée de son prochain partenaire de marche.

Le lendemain, c’est Benjamin, un Slovène rencontré quelques temps plus tôt à Tolmin, qui me rejoint pour quelques jours d’exploration dans la région. Nous enchainons les randonnées dans des décors de plus en minéraux à mesure que nous montons en altitude, jonglant avec la météo orageuse.

Un bivouac au pied des Cinque Torri nous offrira un superbe coucher de soleil rougeoyant derrière les montagnes, suivi d’une longue série d’éclairs lumineux tranchant au travers des nuages, mais cette fois sans le son, visuel muet d’un orage dans les vallées lointaines.

Vendredi 2 juillet
Revigorée après ces dix jours de randonnées « légères » dans de tels paysages, tous mes voyants sont au vert, prête à reprendre ma route pour ce deuxième mois de marche 🙂

L’Aventure peut continuer !

« It’s a kind of magic »

SAMEDI 5 JUIN

Tout juste une semaine que j’ai posé mes premiers pas sur la Via Alpina. Après un peu de repos dans la petite ville d’Idrija, me voilà repartie en direction du Parc National du Triglav. 

Démarrage matinal par un petit sentier raide et étroit à travers les maisons perchées en hauteur de la ville, pour rejoindre l’entrée de la forêt.

Mes pas se font feutrés sur le sol moelleux, mélange de terre et d’humus. La fraîcheur du sous-bois est agréable, et contraste rapidement avec ma température corporelle qui monte en flèche. 
Les arbres par ici sont immenses et protecteurs, l’ambiance  y est particulièrement apaisante, enveloppante.

Ma présence ne semble pas troubler la vie animale matinale qui suit son cours.

J’y entends le chant familier du coucou parmi les pépiements des nombreux autres oiseaux.

Le cri d’un chevreuil, qui se fera régulier durant les jours à venir, et qui me fait sourire toute seule en me remémorant ma première découverte nocturne. 


Et puis, pour la première fois, de petits bruits de pas qui approchent juste en contrebas, à quelques mètres de mon sentier. Cachée par un gros tronc d’arbre, ils ne m’ont ni vu ni senti. C’est un, puis deux, trois et quatre chamois qui passent tranquillement en file indienne. Une première pour moi de les admirer dans les bois, sans les voir détaler à toute vitesse comme à leur habitude. 

A l’orée de la forêt, un panorama tout en rondeur se dessine, les montagnes gris-brun du Triglav à peine visibles dans le brouillard lointain.
Dans les vallées, on fait les foins. Les tracteurs sont de sortie et les familles participent, toutes générations confondues.
Le balisage des sentiers lui, n’est toujours pas au top. Certains passages non entretenus sont tellement en herbe que sans mon téléphone, je ne remarquerais même pas leur trace !

Je profite du temps ensoleillé et de mon taux d’énergie encore honorable pour une journée de marche à rallonge, la météo prévoyant une dégradation dans les jours à venir.
Les fins d’après-midi sont souvent propices à l’observation d’une faune spécifique, comme un petit renard doré qui m’apparaît alors que je suis à la recherche de mon lieu de bivouac. Pas le temps de régler l’appareil photo qu’il a déjà filé dans les sous-bois… 

Finalement, à force de tourner sans réussir à trouver un endroit suffisamment plat pour ma tente, j’avance jusqu’au village le plus proche et demande à un vieux couple de slovènes l’autorisation de camper derrière leur jardin, le long d’une petite rivière. 


Au petit matin, j’aurai le droit en bonus au café et aux barres chocolat-caramel. Réconfort simple mais apprécié après une première nuit de fortes pluies, qui me laissent d’humeur… maussade. Toutes mes affaires sont humides, la tente est repliée encore trempée dans sa housse. Une grosse journée de marche et de nouvelles averses sont au programme, je ne préfère donc pas trainer.  

Pas assez dormi. Pas assez mangé. Pas assez d’énergie. Résultat, mon corps se traine et peine à avancer pour échapper à la pluie. Mes mains moites glissent sur mes bâtons de marche, mélange de sueur et d’humidité ambiante.
Le plafond nuageux est bas et recouvre la cime des arbres. C’est vers lui que je dois pourtant me diriger pour grimper dans la forêt et passer sur le versant de l’autre côté.
C’est pénible, mais en même temps tellement beau. La brume sur le sentier créé une ambiance presque mystique. 

Je n’ai pas réussi à joindre le refuge prévu sur ma route pour m’assurer de son ouverture, et me prépare donc à une rallonge d’une heure de marche pour accéder au village le plus proche, quand mon ange gardien se décide à m’apporter un coup de pouce. En haut du versant, je rencontre une dame venue rendre visite à ses parents, qui me propose de m’avancer sur ma route. 

Elle connaît la Slovénie comme sa poche, et est aussi heureuse de me donner ses infos que moi de les recevoir. Trente minutes confortablement assise à ses côtés sur les petites routes sinueuses menant à Zgornja Sorica m’offrent de précieux conseils, et l’esquisse de mon tracé pour la semaine à venir, encore incertain jusqu’alors. 
Son fils, grimpeur, nous confirme par téléphone que l’itinéraire d’altitude via le Triglav n’est pas encore accessible car trop enneigé. Décision prise, je contournerai donc le massif par le Sud, en empruntant un itinéraire dont j’ai déjà entendu parler plusieurs fois du fait de sa beauté ; celui de la Soča Vallée. 

A peine le temps de poser mon sac dans l’hôtel près duquel cette adorable dame m’a déposé qu’une averse se remet à tomber.

La pluie est mon point faible, et ma résistance morale face à elle ne lui arrive pas à la cheville. Je me tapis donc dans la chaleur d’une chambre transformée en campement de séchage. L’eau chaude de la douche et le lit douillet sont mes réconforts pour cette deuxième partie de journée au calme. 
Nuit réparatrice, le tintement des gouttes de pluie étant bien plus sympa à écouter sur les vitres de ma chambre que sur ma toile de tente… 

Le lendemain matin, mon premier petit déj de luxe m’est servi sur fond de musique lounge slovène.

Par la fenêtre, une petite pluie fine, et la moitié de la vallée recouverte par le brouillard. 
Ma motivation est là, face à moi, affalée sur les coussins moelleux ; « T’es sérieuse là? Tu vas vraiment nous claquer 25 bornes et 1000 mètres de dénivelés dans la forêt ?! ». Mon genou droit prend son parti. Mon petit orteil gauche et sa grosse ampoule aussi. Finalement, le compromis physico-mental est trouvé : on sort, mais on reste proche d’une petite route et, si ça se dégrade de trop, on finit en mode stop…

J’enfile mon sac à dos devant l’hôtel, au moment où un petit rayon de soleil perce à travers les nuages, comme pour me dire ; « Aller file, ça va aller! ». Je me remets en route, le bas de mon pantalon rapidement trempé par les herbes, regardant où je mets les pieds pour éviter escargots et limaces. En haut de la colline, le temps paraît se découvrir un peu, instant éphémère de plénitude. C’est si beau, si calme. 

Mon MP3 dans une oreille, j’avance d’un bon pas pour arriver en début d’après-midi à mon étape suivante, pour tenter d’éviter au maximum les averses orageuses, souvent annoncées en deuxième partie de journée.
Sur ma route, je rencontre Rodolphe, le propriétaire du refuge que j’avais tenté de contacter la veille. Le téléphone arabe montagnard à fait le job, et il sait déjà que je suis la française qui randonne sur la Via Alpina. Sincèrement rassuré de me voir ici, il l’est encore plus quand je lui précise que je redescends vers la Soča.
Il m’apprend qu’ Anne Caroline, l’Allemande rencontrée quelques jours plus tôt, a continué sur l’itinéraire d’altitude malgré ses mises en gardes, et a été transportée à l’hôpital suite à un accident plus haut. D’autres allemands ayant également voulu prendre cette option se sont retrouvés coincés dans la neige et ont dû être héliportés… 

Rodolphe me souhaite bonne route en me bénissant d’un geste de la main. Ces rencontres locales sont de précieux cadeaux, qui peuvent changer du tout au tout le cours d’une aventure, et j’ai à cœur de prendre en compte chacune de leurs informations. 

De manière générale, je suis marquée par la bienveillance des habitants, qui tiennent régulièrement à m’indiquer ma direction. Un vieux monsieur ira même jusqu’à m’accompagner pendant près d’un kilomètre avec ses savates pour me montrer le sentier où bifurquer !

En redescendant dans la vallée, je suis principalement une petite route d’asphalte. Peu agréable pour marcher, elle échauffe les pieds, ravive les ampoules et résonne dans les articulations, mais a l’avantage d’être une option sécure en cas de gros grain, des auberges se présentant régulièrement sur mon chemin.
Le temps est lourd et orageux, allégé de temps en temps par la fraicheur de petites cascades et d’une rivière dans laquelle je peux plonger mes pieds brulants. 

Et puis, de temps à autre, entre deux bouchées d’herbe, de curieux spectateurs relèvent le nez pour surveiller mon passage. 

Finalement je ne m’en sors pas si mal, et fais étape dans une petite auberge traditionnelle. Le patron, d’une grande gentillesse, me raconte l’histoire des lieux en m’offrant une coupe de glace après ma pizza rassasiante.
Cela fait plus de 100 ans que l’affaire se transmet de père en fils, depuis la création du village durant la construction du chemin de fer transalpin entre la Slovénie et l’Autriche. 

Le lendemain, ma descente se poursuit vers Tolmin. Les conditions météo sont moins pire qu’annoncées, et c’est avec joie que je marche sous un grand soleil.
Mon corps commence à se réguler, il fonctionne mieux et plus longtemps avec moins de nourriture. Mes muscles et mes genoux se renforcent progressivement, les courbatures s’estompent plus rapidement. 

Et c’est là, à travers les arbres et leurs branches feuillues que je l’aperçois pour la première fois : la rivière Soča. Superbe ligne bleue translucide qui sillonne à travers les grandes étendues vertes. Quelques parapentes sont en vol au-dessus d’elle, la vue de là-haut doit être encore plus incroyable. 

Mon itinéraire me fera remonter son cours durant les prochains jours, son tumulte en bruit de fond. Parfois à effleurer son bord, parfois un peu plus haut dans la forêt, son grondement devenant murmure.


Tracé qui me mettra également à l’épreuve face à ma phobie des ponts, en traversant nombre de passerelles en bois. De celles qui tanguent et rebondissent sous le poids de mes pas, avec leurs planches craquantes à certains endroits…

Mais cette difficulté n’est rien comparée à la beauté de la marche. Les couleurs paraissent irréelles, les contrastes avec les montagnes environnantes renforcés par le temps orageux, évoluant au fil de la journée dans une ambiance magique. 

A Kobarid, petit commune marquée par l’histoire de la première guerre mondiale, on trouve de nombreux vestiges historiques, dont un immense ossuaire italien bâti autour d’une église, recueillant les restes de plus de 7000 soldats morts durant les affrontements contre l’empire austro-hongrois. 

Aux alentours, la forêt que je parcours est traversée par des cours d’eau et des cascades dans une atmosphère enchantée. Tellement enchantée que je ne serai pas surprise d’y voir sortir un elfe pour me serrer la main!
Des parois sculptées par l’érosion de l’eau. Des rochers recouverts de mousse et parsemés de fleurs légères. Des sentiers aux racines apparentes des grands arbres qui se referment au-dessus de moi en un toit feuillu. Une fraicheur humide et un grondement continu, dont on ne sait parfois pas s’il s’agit de la rivière ou du tonnerre au loin. 

Mon passage à Bovec puis à Trenta, ainsi que l’arrivée du week-end, me fait croiser plus de monde dans ces lieux touristiques. Les bonjours ne sont plus slovènes, mais principalement allemands.
J’envie parfois les quelques personnes croisées sur mon sentier, avec leurs minis sacs à dos et l’odeur de lessive de leurs fringues propres!

Le village suivant, Kranjska Gora, est une station de ski, animée par les activités outdoor proposées aux alentours.  Il s’agit de ma dernière étape slovène avant mon passage en Autriche. 


Je ressens le besoin d’un peu de repos après ces deux premières semaines cumulant 75h de marche, et puis je suis triste à l’idée de devoir déjà quitter ce petit pays.
De l’autre côté de la frontière, des refuges d’altitude sont encore fermés et la neige reste présente sur certains tronçons  de mes passages prévus. 
Je ne suis donc pas pressée et décide de m’accorder un bonus de luxe en louant une voiture pour trois jours de road trip, histoire de laisser un temps de réparation supplémentaire à mes pieds, et d’offrir à mes yeux une dose d’émerveillements slovènes additionnelle 🙂

Trois jours qui vont définitivement finir de me faire tomber amoureuse de la Slovénie. A commencer par le lac de Bled, le plus célèbre. Un look de carte postale avec son château en contrehaut et son église perchée sur une petite île centrale. Son eau bleue invite à la baignade, tout du moins au trempage de pieds…

Puis, en avançant vers l’Est, je découvre une région plus agricole et maraichère, regroupant notamment d’immenses champs de houblons qui s’étendent de part et d’autre de ma route. J’apprends que la Slovénie en est l’un des plus gros producteurs au monde, avis aux amateurs de bière !

Proche de l’extrémité Est, c’est le petit village pittoresque de Ptuj. Lui aussi a son château qui le domine, entouré de bâtiments historiques colorés et élégants.

Une journée à gambader dans la superbe capitale Ljubljana, à l’image du reste du pays mais en version citadine : pleine de charme et d’histoire, remplie d’une douce et jeune énergie. Ma ballade est accompagnée par le son des étudiants du Conservatoire, qui répètent un concert classique en plein centre, remplissant l’atmosphère de leurs talents musicaux. 

Puis, retour à la nature avec une escale au lac Bohinj, le plus grand de Slovénie. Ici aussi des couleurs et une atmosphère incroyables, qui invitent à la contemplation. L’eau est cristalline, on y voit virevolter toutes sortes de poissons.

Et pour finir, une parenthèse au lac de Jasna, proche de ma ville de départ, avec son panorama de rêve devant les montagnes du Triglav.


MERCREDI 16 JUIN


Les clés de la voiture sont rendues. Les fringues sont lavées. Le ravitaillement est prêt. Le topo au clair pour les prochains jours. Demain, je renfilerai mon sac à dos pour rejoindre la frontière Autrichienne. Adieu Alpes Juliennes. Bonjour Alpes Carniques. 

C’est avec émotion que je quitte la Slovénie. Je ne connaissais rien d’elle avant d’y poser les pieds. Mais, comme pour l’Alaska, l’évocation de son nom avait résonné en moi, et la magie des lieux découverts par ici a confirmé cette intuition.

Gratitude pour ce pays green dans tous les sens du terme, qui matche avec mes idéaux de style de vie. Au-delà de ses contrées verdoyantes, pas un papier par terre en trois semaines, pas un déchet qui traine, ni en forêt, ni en campagne, ni en ville.
Un respect naturel de l’environnement, auquel les habitants sont intrinsèquement connectés. Une discrétion et une authenticité palpables.

Gratitude envers les femmes et les hommes croisés sur mon chemin, qui font le charme de l’aventure autant que celui des paysages traversés. Un accueil simple et bienveillant, des locaux qui respirent la gentillesse. 

Désormais, en fermant les yeux, la prononciation du mot « Slovénie » s’accompagnera de précieuses images, inoubliables souvenirs de cette première partie d’aventure. 

Une pensée pour ceux qui me suivent, merci pour vos petits mots qui m’accompagnent chaleureusement tout au long de mes journées 😉 

« Don’t worry about a thing, ‘cause every little thing gonna be alright »

Samedi 29 Mai

En ce début de matinée, j’embarque sur un petit ferry direction Muggia. Une traversée d’une trentaine de minutes qui longe le port de commerce de Trieste et m’amène au point de départ de ma Via Alpina.


Petite commune organisée autour de son port, ses ruelles ont un charme traditionnel et authentique. Quelques embarcations modestes, certaines aux peintures élimées, aussi élimées que l’un des propriétaires qui bricole à bord.

Des boutiques à l’allure un peu désuètes. Des maisons et des courettes en pierres colorées et fleuries. L’arrivée du week-end se fait sentir, les rues s’animent peu à peu.
Je constate avec dépit que l’office de tourisme est fermée. Je ne pourrai donc compter que sur mon téléphone pour démarrer, sans carte papier en back-up ni infos météo précises.


Le début de mon itinéraire grimpe dans les hauteurs du village pour rejoindre le petit hameau de Santa Barbara (#CaTeBarbera, chanson de la série parodie des inconnus toute la matinée dans la tête…!).
Un air printanier flotte avec ses odeurs de chèvrefeuille et de fleurs fraiches. Des glycines, de belles villas, un chat qui me surveille vautré sur son muret, quelques chiens qui aboient à mon passage.

Le ciel voilé du matin fait progressivement place à un beau soleil, la casquette et la crème solaire sont en place.
Je rejoins ensuite un petit chemin arboré qui ouvre de temps à autre une vue dégagée sur le Golfe, et marche avec la mélodie des petits oiseaux, des tondeuses et des « Ciao » chaleureux des gens qui s’affairent dans leurs jardins.

L’ambiance de la deuxième partie d’après-midi sera moins légère, en oscillant sur la bordure italo-slovène. La signalétique devient double, et mon opérateur de téléphone m’envoie régulièrement des messages me souhaitant la bienvenue dans l’un ou l’autre des deux pays. 

Au démarrage d’une piste grossièrement déboisée par des machines puis s’enfonçant progressivement dans la forêt, quelques affaires trainent par-ci, par-là ; couvertures, sweat-shirts, gants, bouteilles vides… je commence par mettre cela sur le compte des agents forestiers qui doivent œuvrer dans le coin, mais mon ressenti se fait de plus en plus étrange, et une inexplicable sensation d’appréhension prend place.
Et puis, les vêtements se multiplient au bord de ma route et deviennent un, puis deux, puis trois, jusqu’à dix campements de fortune. Me revient alors d’un coup en tête que la zone est un passage d’immigration clandestine… Effectivement, il s’agit de l’une des principales voies d’entrées depuis la route des Balkans, en direction de l’Italie et de l’Europe de l’Ouest, pour des migrants venus des pays de l’Est ou de l’Afrique du Nord.

Sujets épineux entre les différents pays concernés, où les polices locales organisent des campagnes de surveillance et de recherches pour tenter de limiter ces entrées illégales sur leurs territoires. L’Italie est notamment accusée de renvoyer des migrants vers la zone Slovène de manière « informelle », qui sont ensuite repoussés en chaine plus à l’Est, hors de la zone UE. De nombreux migrants se terrent ainsi en se cachant dans les forêts pour éviter les autorités et tenter de percer leur route. 

C’est la première fois que je suis confrontée si directement à ce type de situation, que je n’avais absolument pas anticipé. En étant aussi isolée avec mon gros sac sur le dos et aucune connaissance des risques potentiels d’une rencontre fortuite, c’est déconcertant de voir comme le cerveau déclenche instantanément un instinct de protection, et allume une alarme rouge ordonnant d’ajuster sa route.
J’accélère le pas, et, quelques kilomètres plus tard et une bifurcation par un sentier en bordure de village, je suis soulagée d’arriver à ma première étape « Refugio Premuda ». 

Le « refuge » n’est au final qu’un genre de guinguette d’étape au bout d’un hameau, qui ne propose pas de lits et ne sert qu’à l’extérieur, mais accepte que je pose ma tente sur un petit bout d’herbe un peu abrité à proximité. Exit le bivouac en pleine forêt par ici après mon expérience trouble du jour !
Je m’installe en même temps que l’arrivée de grosses rafales de vent. Moi qui pensais la Patagonie championne des courants d’air, je découvre ici le « Bora » ou « Burja » en slovène. Vent local froid et brutal qui descend des montagnes de l’arrière-pays, c’est le plus puissant du bassin méditerranéen, et l’un des plus forts au monde. Ses bourrasques obligent à replier terrasses et parasols en catimini, faisant tout voler sur son passage. 
Il me tiendra éveillée une bonne partie de la nuit, faisant claquer ma tente malgré le fait d’être abritée par quelques arbres. Un sommeil pas vraiment réparateur donc… mais l’avantage du vent est qu’au matin, la tente est parfaitement sèche pour la replier !

Le jour pointe son nez dès cinq heures par ici, et je suis debout aux aurores. J’enfile mon sac à dos et quitte le village encore endormi pour une petite montée de 300m en guise d’échauffement. Heureusement, la forêt est vierge de tout signe de campements, et mes inquiétudes s’envolent rapidement. Je ne serai plus confrontée à cette situation dans les jours à venir. 

Arrivée en haut, c’est une jolie récompense avec une vue panoramique que je n’aurai pas tous les jours, puisque trois pays d’un coup s’étendent sous mes yeux : l’Italie, la Slovénie et la Croatie. 

Me voilà pour de bon du coté Slovène. Hameaux paisibles et sentiers bordés de prairies et de murets en pierre sont au programme de ce début de journée qui m’amène à Lipica, village qui, je crois, a plus de chevaux que d’habitants !

Joie de gamine durant ces quelques heures passées à la découverte du «Lipica Stud Farm». Le site est l’équivalent de notre Cadre Noir à Saumur, sauf qu’ici tous les chevaux sont gris. Ce domaine d’Etat à des installations magnifiques, impeccablement tenues, qui abritent pas moins de 370 lippizzans. 


Race historiquement importée d’Espagne, son standard était composé il y a deux cent ans encore de chevaux de différentes robes, qui, avec la sélection génétique, se sont progressivement réduites au gris pour 99% d’entre eux. Petits et trapus, ils mesurent entre 150 et 160 cm au garrot, avec des membres courts, un physique puissant et un regard calme, dégageant l’élégance naturelle typique des chevaux du sud.

A l’entrée, une vingtaine de juments suitées accueillent les visiteurs avec leurs poulains fraichement nés. Belle stratégie de sociabilisation de ce petit monde, tant au sein du troupeau qu’auprès des visiteurs qui viennent les gratouiller. D’ici quelques temps, 80% d’entre eux seront destinés au dressage classique, 20% à l’attelage.

Chaque année, le centre vend une vingtaine de ses chevaux dans le monde entier, les États-Unis étant les premiers importateurs. Leurs prix varient de 20 à 50 000 euros pour un cheval dressé, et jusqu’à 100 000 euros pour un cheval de haute école, aucun cheval n’étant vendu avant l’âge de cinq ans. 
Les étalons reproducteurs, eux, démarrent la monte à cet âge-là, mais ne peuvent être « officiellement » approuvés qu’à partir de onze ans, une fois leurs performances génétiques confirmées.
L’écurie principale exhibe fièrement son lot d’entiers vedettes, étonnamment calmes dans leurs confortables boxes cinq étoiles.

Aux alentours, plusieurs troupeaux de dizaines de juments s’étendent à perte de vue dans d’immenses prairies bordées d’impeccables lisses blanches. Une belle vision du paradis des chevaux !

L’heure étant venue pour moi de poursuivre ma journée, le sentier indiqué par mon téléphone traverse l’un des prés clôturés juste à côté de celui du troupeau principal, dans lequel il n’y a pas de chevaux actuellement mais avec tout de même une pancarte y interdisant l’accès. Au vu du détour à faire pour le contourner, je décide d’y passer quand même « discrètement »…
C’était sans compter sur la curiosité générale des voisines qui arrivent toutes au galop vers moi! Pour la discrétion on repassera… mais « l’effraction » en valait largement le spectacle o)

Matavun, petit village paisible, m’attend pour sa fin de journée. J’y trouve un spot de bivouac tranquille à proximité du centre d’information avec eau, prise électrique et wifi, le luxe.


Cette nuit sera plus sereine, mis à part un réveil en sursaut à une heure du matin par le cri puissant et rauque d’un animal. Étant donné l’intensité, il doit être tout proche, mais je n’ai jamais entendu ce son et n’arrive pas à l’identifier. Heureusement pour moi, cela ne dure que quelques minutes à peine.
Le lendemain matin, la magie d’internet m’indiquera qu’il s’agissait d’un chevreuil… Qui aurait cru qu’un animal si petit et si mignon puisse sortir de pareils sons ?! (si vous ne voyez pas de quoi je parle cliquez ici et vous comprendrez^^).

Ces premiers jours sont difficiles physiquement. Les matinées tout en légèreté laissent place à des deuxièmes parties de journées qui me font serrer les dents et trainer les pieds. Une fois les réglages de mon sac à dos affinés, les douleurs dans les épaules s’estompent et le dos s’habitue progressivement à sa charge de sherpa.
Mais les genoux demandent plus de temps, les douleurs alternant de l’un à l’autre, et descendant jusqu’au bout des orteils. Malgré cela, je prends mon mal en patience, sachant que chaque jour qui passe m’endurcit un peu plus. J’essaye de gérer au mieux mon effort et de prendre du temps de repos, m’astreignant au combo étirements – baume du tigre – hydratation pour soulager mes articulations.
Accepter les réglages physiques et mentaux du démarrage, sorte de mutation progressive avant d’atteindre mes pleines capacités.

La suite de mon tracé rejoint le Karst, région de hauts plateaux rocheux calcaires, à l’origine du terme géologique « karst » et des « phénomènes karstiques ». Cette érosion spécifique a formé au fil du temps des paysages comme des grottes, des tunnels souterrains, des lacs…
J’y découvre l’un de ses aspects les plus marquants avec les dolines, sortes de dépressions circulaires qui peuvent aller de quelques mètres à plusieurs centaines de mètres de diamètre. La doline d’effondrement la plus haute de la région fait 163m et se situe sur mon chemin. Elle m’offre un beau panorama face à elle au petit matin, son torrent bouillonnant avec force en bas de ses roches.

Les sentiers forestiers sont paisibles, et proposent tantôt l’odeur du bois fraichement coupé, tantôt celle des débuts de floraison sur leurs bordures. Ils sont parfois longs et monotones, mais offrent l’avantage de leur fraicheur ombragée, et la récompense arrive quand les arbres s’ouvrent pour laisser entrevoir un panorama sur les vallées alentours.

Des forêts à perte de vue, et leurs palettes de verts qui changent au gré de la danse entre le soleil et les nuages. Dégradés de nuances et de niveaux vers l’horizon, les derniers plans des montagnes perdus dans les brumes.

Quelques écureuils pestent régulièrement après moi et filent se percher dans les branches hautes, dérangés dans leur quête primordiale de provisions.  

J’aime également traverser les nombreux petits hameaux parsemés sur mon chemin. La marche à cet avantage de laisser le temps d’observer les matériaux, les couleurs, les odeurs, les détails furtifs de la vie quotidienne locale.

L’ambiance y est sereine. Les maisons bien entretenues. Les jardins sont fleuris, les potagers ordonnés, le bois bien rangé. Les chats traînent nonchalamment et me regardent passer d’un air détaché. Les chiens aboient peu et viennent parfois quémander quelques caresses. Les petites vieilles se racontent leurs cancans le long d’un muret, pendant que je m’accorde une pause biscottes-nutella avant que celles-ci ne soient totalement réduites en chapelure, quotidiennement écrasées dans mon sac à dos. 

Ici aussi, les saluts sont chaleureux ; « Dober Dan ! ». L’un des seuls mots de mon répertoire slovène actuel, frustrant de ne pouvoir adresser parfois quelques mots de plus à mon passage. Heureusement, dans les commerces et les lieux d’accueil, l’anglais de base à l’air plutôt répandu. 
Seul point négatif, il est encore tôt dans la saison, et de nombreux restaurants, gîtes ou refuges d’étapes sont fermés, laissant s’envoler mes espoirs d’un bon repas copieux en arrivant face à eux. 

Globalement, la traversée de cette première partie du pays pour rejoindre les hauteurs montagneuses du Triglav offre une bonne mise en route dans des conditions ensoleillées optimales.

Côté itinéraire, je me réjouis de l’efficacité de mon appli « map.me » que j’utilisais déjà beaucoup à vélo, et qui s’est aussi désormais beaucoup améliorée pour les sentiers pédestres.

C’est une chance, car les slovènes sont peut-être champions au scrabble avec leur sémantique slave bien spécifique… mais ils le sont moins pour le balisage des sentiers, aléatoire et parfois très espacé, qui rend souvent impossible un suivi uniquement par ce biais !

Et puis, après une bonne journée de grimpette arrive l’heure de ma première longue descente à travers les bois pour rejoindre Idrija. Les dénivelés négatifs engagés sont une vraie épreuve pour moi.
Depuis quelques années une instabilité rotulienne, majoritairement prononcée sur mon genoux droit, provoque des douleurs allant de la simple gêne à de fortes inflammations qui finissent parfois par empêcher la flexion de ma jambe tant la douleur peut être intense.
Je dois donc redoubler de concentration en descente pour gérer mes appuis, transférer un maximum de poids sur mes bâtons et alléger la charge sur mes genoux. Trempée de sueur, la dernière heure est un calvaire, mes muscles crispés par les efforts prolongés et par la douleur qui se fait lancinante. 

Mais la récompense est juste en bas du chemin, avec l’arrivée au « Wild Lake », superbe petit lac aux eaux turquoises limpides. Délivrance, j’y plonge mes pieds endoloris et mon genou enflé dans la fraicheur de la rivière qui l’alimente. 

Et en bonus, j’y rencontre ma première Via Alpiniste, Anne Caroline, une allemande qui randonne également en solo et prévoit aussi de faire l’intégralité de la traversée! Joie partagée de pouvoir parler ensemble, après une semaine où nos rencontres respectives ont été rares et nos conversations locales succinctes du fait de la barrière de la langue. Nous échangeons nos numéros, et seront certainement amenées à nous recroiser par la suite.

Ce moment d’échange enjoué me redonne la légèreté nécessaire pour finir mon étape du jour bien méritée, avec l’arrivée dans une chambre d’hôtes où les propriétaires ont une petite écurie privée. Ici, ce sont les poneys qui vivent en tiny house !
Accueillie aux petits soins, on m’offre un bon jus de fruis frais et des œufs pour pouvoir cuisiner mon premier diner copieux depuis 5 jours 🙂

Les 48h suivantes seront posées à Idrija pour remettre mon genou d’aplomb et organiser la suite qui s’annonce un cran plus engagée.
La ville est modeste mais il y a tout ce qu’il faut à quelques pas ; de bons produits frais, enfin une carte papier de la Via Alpina Slovène, du voltarène, et les bons conseils de mon hôte Miha (prononcer « Micha » – mais il préfère qu’on l’appelle « Mike » o)). 

Vendredi 4 juin

Demain je reprendrai la route en direction du parc national du Triglav, que je devrai atteindre d’ici deux jours.
La bonne nouvelle : prise de hauteur, nouveaux paysages, et lacs d’altitude sont au programme.
La moins bonne : une dégradation de la météo est annoncée, il y a encore de la neige en montagne, et nombre de refuges paraissent fermés.  
Du coup, ces conditions incertaines rendent la préparation de mon itinéraire « légèrement » casse-tête…

Mais, en rando comme dans la vie, si le plan A ne fonctionne pas, il reste encore 25 lettres dans l’alphabet ! 

« These boots are made for walking »

Mercredi 26 Mai

Paris. Terminal 2F. Aéroport Charles de Gaulle. Les restrictions sanitaires interdisent l’accès dans l’aéroport aux « non-passagers ». Sur le parking du dépose minute, c’est donc un au-revoir rapide avec Martine, ma mère et supportrice sans faille de mes projets, qui m’accompagne à nouveau vers de nouvelles aventures. Dans un sens, cette fois-ci, je ne pars « qu’à » 1500kms, sur le même continent, et « que » pour cinq mois, la pression ressentie est donc moins lourde… tout du moins de mon côté o)

Le trajet s’enchaîne facilement, entre montagne et mer. A peine le temps d’un petit somme pour rattraper ma courte nuit que je vois déjà apparaître le début de la chaine montagneuse des Alpes en mettant le nez au hublot. Nous les surplombons pendant un petit moment. Elles sont immenses et s’étendent à perte de vue, leurs sommets enneigés fondus dans les couches éparses des nuages. Vu d’ici, c’est vachement facile de les survoler. Une fois en bas, ça le sera un peu moins pour les traverser !

Un transit rapide à Rome et une arrivée tout en douceur dans le petit aéroport de Trieste, au Nord-Est de l’Italie, sous 23 degrés ensoleillés. 

Je me rends à la gare routière en bus et finis par une petite marche le long du front de mer pour rejoindre mon hôtel dans le centre. Car oui, je m’offre trois jours « de luxe » en mode touriste pure, le temps de me poser un peu et de planifier mes derniers détails logistiques. 

Je découvre avec tranquillité les premières esquisses des lieux. Trieste est une ville côtière à taille humaine, pleine de charme et d’histoire. Nichée dans le golfe de la mer adriatique, elle me fait penser à ma terre rochelaise, et je m’y sens instantanément à l’aise. 


Il y a un petit port. Un quai avec un roof top proposant vue sur la ville, cocktails et tapas. De jolis monuments historiques. Des allées piétonnes bordées de terrasses. Des boutiques souvenirs. Une rue Saint Nicolas. Un vieux monsieur qui joue de l’accordéon. Des gens qui font la queue devant La Poste. Des vendeurs de rue relous qui te proposent des trucs relous. Des kékés avec vitres de voiture ouvertes et sono bien en évidence.
Et en bonus, tout ce qu’il faut pour se régaler. Même du beurre salé. Non vraiment, je ne peux pas demander mieux, Trieste et moi on est faites pour s’entendre !

Et bien sûr, on y trouve cet esprit typique Italien. Architectures travaillées, sculptures impeccables, façades colorées, boutiques de prêt-à-porter distinguées, scooters à profusion. Le tout enrobé par l’ambiance légère et enjouée de la ville, et l’accent chantant de ses habitants qui anime les rues. 
Léger détail, moi je n’y comprends pas grand-chose à l’accent chantant… Mon vocabulaire se limite à quelques mots de survie ponctués de « sono francese », « no parlo italiano » !
J’entremêle français, espagnol et anglais, mais les locaux n’ont pas l’air de m’en tenir rigueur et pour l’essentiel… ça fait le job o)



Le lendemain, réveil au son d’une sirène de navire. A sa tonalité grave et puissante, je me doute que ce n’est pas le départ des pêcheurs du coin, mais celui du titanesque bateau de croisière MSC vu la veille, amarré tout près. Véritable ville flottante, sa taille était démesurée, dépassant largement la hauteur déjà imposante des bâtiments autour de lui.

Mes préparatifs de randonnée étant bien avancés, je profite de cette belle journée pour flâner et découvrir un peu plus le vieux Trieste, légèrement dans les hauteurs.
Il abrite de véritables bijoux : basilique, églises, théâtre romain, les restes d’un fort et un château qui offre une superbe vue panoramique. D’ici, le front de mer en contrebas semble tout petit, avec ses bateaux qui ressemblent à des cocottes en papier et ses mouettes, minuscules points blancs qui virevoltent dans le bleu du ciel.
Au loin, en arrière-plan, on distingue les cimes ciselées des Alpes encore partiellement enneigées, à demi masquées par la brume.

Vendredi 28 mai
Après ces trois premiers jours d’acclimatation, je suis prête à me lancer. Demain matin j’embarquerai à bord d’un petit ferry pour rejoindre Muggia, à 30 minutes d’ici, étape « officielle » du départ de la Via Alpina.

Les conditions s’annoncent parfaites, le moral et le soleil sont au beau fixe. Une bonne semaine de marche, quasi intégralement sous la barre des 1000m d’altitude, avant de rejoindre mon premier gros massif montagneux, le Triglav, ce qui devrait laisser le temps à d’éventuelles neiges tardives de fondre un peu plus haut. Et accessoirement, de me laisser également le temps de me mettre en route physiquement, ma prépa étant loin d’être au top de ce côté-là…

Pour mon entrée en Slovénie, prévue dimanche, j’ai à cœur de faire une pause dans le petit village de « Lipica » que j’ai eu la bonne surprise de découvrir en préparant mes premiers topos cartographiques. 
Connu pour son haras, c’est le berceau des lipizzans, célèbre race de chevaux de dressage, que l’on voit notamment dans les représentations de l’École espagnole de Vienne en Autriche.  

Pour le reste, « wait and see »… !

A presto tutti 🙂